Berlinale

Regards croisés sur la Berlinale 2025

À la veille d’élections capitales pour l’Allemagne et pour l’Europe, les regards étaient moins braqués sur les films projetés au Berliner Palast que sur les sondages, marqués par une progression spectaculaire de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand. À l’image d’un festival qui se fait souvent la chambre d’écho des enjeux politiques du moment, la cérémonie de clôture a donc été ponctuée de discours engagés, comme celui du cinéaste roumain Radu Jude, couronné par l’Ours d’argent du meilleur scénario (pour un film qui paradoxalement semble se détacher de toute ligne narrative claire). « Comme il y a des élections ici demain, j’espère que, l’an prochain, le festival n’ouvrira pas avec Le triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl » a-t-il déclaré, faisant référence à la cinéaste officielle du régime nazi. 

À rebours d’une période où le dialogue paraît mis à mal sur tous les fronts, la dialectique était au cœur d’une partie des films en compétition. Qu’il s’agisse de Blue Moon de l’américain Richard Linklater qui met en scène l’amour empêché d’un vieux génie de la comédie musicale (incarné par Ethan Hakwe) pour une jeune femme (Margareth Qualley), d’Ari de Léonore Serraille, lumineuse errance d’un jeune homme en proie aux doutes qui renoue avec ses amis d’enfance, ou encore de Radu Jude avec Kontinental 25, variation farcesque de Crimes et Châtiments dans laquelle une femme se sent coupable suite à son implication indirecte dans la mort d’un sans-abri, le dialogue semblait être le principe directeur de ces réalisateurs.

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Plus flagrant encore : la compétition a mis en avant les réalisatrices (40% des films présentés ont été réalisés par des femmes), et la question d’une maternité qui ne va plus de soi. Dans Mother’s Baby, la réalisatrice autrichienne Johanna Mod met en scène les tourments d’une femme persuadée que son bébé a été échangé à la naissance. Écrit et réalisé par Rebecca Lenkiewicz et adapté du roman à succès de Déborah Lévy, Hot Milk raconte sans vraiment convaincre le versant négatif de la relation fusionnelle entre une jeune femme et sa mère. Dans What Marielle Knows de Frédéric Hambalek et If I Had Legs I’d Kick You de l’américaine Mary Bronstein, la fille de la famille devient un poids pour ses parents. Enfin, La Tour de glace de Lucie Hadžihalilović met en scène la relation ambiguë entre une jeune fille orpheline et une actrice incarnée par Marion Cotillard. Le film s’est vu remettre le prix de la meilleure contribution artistique, prix en un sens mérité pour une œuvre dont l’emballage est plus consistant que le fond. À noter que ce long métrage, tout comme Reflet dans un diamant mort du duo de réalisateurs belges Hélène Cattet et Bruno Forzani, mène une réflexion sur la manière dont le fictif infiltre le réel jusqu’à le faire éclater.

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Dans cette compétition homogène – sans pour autant de coup d’éclat notable – c’est finalement un film que personne n’attendait qui a été distingué par l’Ours d’or : Dreams, le troisième volet d’une série sur l’amour et la sexualité réalisée par le norvégien Dag Johan Haugerud, qui s’attache à raconter l’amour d’une jeune fille pour sa professeure. 

Retour sur notre top personnel.

La sélection de Romane : 

  • Reflet dans un diamant mort, d’Hélène Cattet et Bruno Forzani.

Un vieil espion est forcé de renouer avec son passé suite à la mystérieuse disparition de sa voisine de chambre. David Lynch peut se rassurer : son esprit est là, quelque part, dans un des reflets de ce diamant à mille facettes que met en scène le duo de cinéastes belges Hélène Cattet et Bruno Forzani. Reflet dans un diamant mort se présente comme un génial hommage au giallo italien et aux romans photos d’espionnage, mais pas que ; les références cinématographiques se multiplient jusqu’à créer un effet de saturation visuelle et sensorielle. C’est peut-être que le cinéma n’est qu’affaire d’artifices et de jouissance, nous suggère le duo. Hommage au cinéma, donc, mais pas que : à travers ce faisceau d’images, les réalisateurs jouent et s’interrogent sur cette figure de l’espion en vogue dans les années 1970 et dont l’ambition était de sauver le monde. Quel échec ! Il semblerait qu’il se soit lui-même perdu dans son labyrinthe fictif.

  • Le rendez-vous de l’été, de Valentine Cadic.

L’air est chargé par une chaleur étouffante et par les clameurs des touristes venus soutenir leurs sportifs préférés. La jeune Blandine (incarnée par la douce Blandine Madec) vient célébrer sa nageuse préférée et dort sur le canapé de sa sœur (India Hair) qu’elle n’a pas revue depuis des années. Réactualisant le dispositif qui guidait La Bataille de Solférino (Justine Triet) où les protagonistes fictifs se déployaient en pleine élection présidentielle, Valentine Cadic utilise ici les Jeux Olympiques de 2024 comme toile de fond documentaire pour mettre en scène le sentiment de décalage et de solitude d’une jeune femme naviguant seule dans la foule de touristes. Là où la légèreté poisseuse de l’été laisse place à la mélancolie. 

  • La Cache, de Lionel Baier.

Adaptant le livre de Christophe Boltanski du même nom, le réalisateur helvétique Lionel Baier fait du contrechamp un principe esthétique. Contrechamp donc de Mai 1968 où les parents du jeune Christophe prennent la belle part. Contrechamp aussi de la Shoah dont sa famille et son appartement portent encore les stigmates. Dans La Cache, les événements historiques sont vus par le trou de la serrure, à hauteur d’enfant : personne, ni les deux oncles comiques, ni l’arrière-grand-mère que l’on surnomme arrière-pays ne sortiront de l’appartement. Le cinéaste, joueur, propose une adaptation poétique et assumée comme telle du texte – en témoigne l’usage d’une voix-off – et fait ainsi le portrait d’une famille qui, malgré son éclectisme, ne forme qu’un seul grand corps. Il signe là un de ses plus beaux films. 

À rebours d’une période où le dialogue paraît mis à mal sur tous les fronts, la dialectique était au cœur d’une partie des films en compétition.

La sélection de Samuel :

  • What Marielle Knows, de Frédéric Hambalek.

Un bon film, ça tient aussi, parfois, à un scénario tout simple. Ici, la vie d’une jeune adolescente allemande, Marielle, est bouleversée par une gifle reçue de la part de sa meilleure amie. Du jour au lendemain, elle développe un don de télépathie qui lui permet de tout savoir des faits et gestes de ses parents. De quoi mettre à mal les petits et gros secrets que père et mère auraient préféré ne jamais dévoiler. Malgré un format pour le moins classique – un long métrage d’une heure trente, un montage linéaire, des décors qui rappellent n’importe quelle zone pavillonnaire d’un pays occidental –, la réussite du film tient dans le jeu des acteurs, comme une cocotte-minute qui menacerait d’exploser à mesure que Marielle profite de ses nouveaux dons de télépathie.

  • Comment ça va ?, de Caroline Poggi et Jonathan Vinel.

Une île. Une communauté d’animaux, telle une arche de Noé, y séjourne pour soigner leur profonde mélancolie, provoquée par les multiples crises de notre monde contemporain. Les journées sont rythmées par un podcast présenté par un éléphant et diffusé dans tout l’espace insulaire via des hauts-parleurs, dans lequel est quotidiennement invité un congénère qui y confie ses états d’âme. Avec ce court-métrage mêlant habilement prises de vues réelles et 3D, le couple de réalisateurs français Caroline Poggi et Jonathan Vinel utilise la métaphore animale et le territoire vierge que constitue une île déserte pour symboliser leur propre mal-être. Et nous questionner : les animaux n’auraient-ils pas plus d’humanité que nous autres, homo sapiens ?

  • Sorda, d’Eva Libertad.

Un film traitant de la surdité est le terreau parfait pour expérimenter de belles choses par l’image et le son. Par l’image, puisque la langue des signes est omniprésente et incite le spectateur à se concentrer sur le sens des signes grâce aux sous-titres. Par le son, parce que ce long métrage espagnol se divise astucieusement en deux parties : une première du point de vue d’un entendant, avec du son, une deuxième quasi-silencieuse, avec les seules vibrations que peut entendre une personne sourde. Un dispositif qui sied parfaitement au propos de ce film, primé par le public dans la section Panorama de la Berlinale et qui raconte l’histoire d’un jeune couple – elle sourde, lui entendant – qui attend son premier enfant, qui se révélera entendant. La mère s’isole petit à petit, à mesure que le père ne prend plus la peine de traduire en signes ce qu’il communique au bébé. Nous le ressentons avec elle, puisque nous n’entendons plus qu’à travers les oreilles de la mère. Une petite pépite de douceur et de délicatesse.

Le palmarès complet : 

  • Meilleur film : Dreams (Sex love) de Dag Johan Haugerud
  • Grand Prix : The Blue trail de Gabriel Mascaro
  • Prix du jury : The Message d’Iván Fund 
  • Meilleure réalisation : Huo Meng pour Living the land
  • Meilleur premier rôle : Rose Byrne pour If I Had Legs I’d Kick You
  • Meilleur second rôle : Andrew Scott pour Blue Moon
  • Meilleur scénario : Radu Jude pour Kontinental 25
  • Meilleure contribution artistique : Lucile Hadzihalilovic pour La tour de glace

Samuel Chalom et Romane Demidoff.


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