Une mère débordée par sa fille malade et une vie qui part en vrille. Un pitch banal ? Avec If I Had Legs I’d Kick You, qui vient de recevoir le Prix d’interprétation de la Berlinale pour le jeu de son actrice Rose Byrne, la cinéaste américaine Mary Bronstein propose au contraire un subtil mélange des genres, entre drame et fantastique, à même de nous faire ressentir toute la détresse de son personnage principal.
Une décharge. C’est l’empreinte que laisse en nous, spectateurs, ce long métrage étonnant et vivifiant comme l’angoisse. If I Had Legs I’d Kick You (littéralement Si j’avais des jambes, je te filerais un coup de pied en français) narre l’histoire de Linda, maman d’une jeune fille malade. Linda doit conjuguer un travail (très) prenant – un job de psy en cabinet – à son quotidien de proche aidant. Lorsque le plafond de sa chambre s’effondre sur elle, la mère débordée doit faire face à une nouvelle crise et Linda se retrouve obligée de séjourner dans un motel avec sa fille, pendant qu’elle cherche comment réparer le trou dans son plafond, sauver son enfant, gérer la disparition d’un patient et un défilé de personnes qui semblent toutes incapables de l’aider.
Seize années séparent ce deuxième long-métrage de Mary Bronstein de son premier, Yeast, sorti en 2008. La cinéaste américaine, encore peu connue en France, s’est d’abord illustrée au sein du mouvement mumblecore. Ce courant du septième art indépendant US se caractérise par son naturalisme et ses productions à petits budgets, par opposition aux blockbusters des studios de Hollywood. Ici, rien de tout ça. If I Had Legs I’d Kick You est accompagné par A24, une des boîtes de production et de distribution américaine les plus en vue du moment, à qui l’on doit les très remarqués Past Lives, Midsommar ou encore Moonlight.
Une comédie dramatique qui n’a pas peur de déborder sur les frontières du réalisme magique, voire du fantastique.
La psychose en ellipses
Long métrage de près de deux heures, If I Had Legs I’d Kick You se révèle inclassable. Il manie et marie les genres avec prouesse et subtilité : il s’agit d’une comédie dramatique qui n’a pas peur de déborder sur les frontières du réalisme magique, voire du fantastique. Le film suit la « normalité » de la vie d’une mère débordée et seule à s’investir au sein du ménage. Tout nous est montré : les rendez-vous réguliers à l’hôpital pour sa fille, les coups de fil incessants du père absent qui n’a que des reproches à adresser mais pas l’ombre d’une excuse en vue, les supplications d’une patiente qui la prend comme mère-modèle et la prie de lui prodiguer des conseils parce qu’elle n’arrive pas à gérer son enfant, la crise de nerf permanente, etc.
Dans le même temps, l’énorme trou dans le plafond de la chambre de Linda, dont l’origine n’est jamais vraiment explicitée, devient pour elle une obsession. S’il la condamne à dormir avec sa fille en dehors de chez elles, ce trou est également un symbole qui concentre toute l’anxiété et la tension de la mère. Dans de fréquentes divagations et cauchemars, notre héroïne contrariée imagine l’existence d’un monde effrayant dans son plafond, tour à tour constitué de substances gluantes, visqueuses ou encore d’une sorte de trou noir. Ces moments frôlant la psychose – ce qui peut sembler paradoxal pour un personnage principal dont la profession est psychiatre – sont introduits par des ellipses revenant à la fin de chaque journée de Linda. Ellipses qui ne nous donnent jamais l’impression que le long métrage hésite dans la direction qu’il souhaite adopter, mais qui, au contraire, renforcent son propos.
Au-delà du mélange des genres réussi, l’une des plus belles trouvailles cinématographiques de Mary Bronstein est celle de ce que l’on pourrait qualifier de présence-absence de l’enfant. Pendant une grande partie du film, le visage de la jeune fille malade, ni même le reste de son corps, ne nous sont pas révélés. Il faut attendre la magistrale scène finale, durant laquelle Linda essaie jusqu’à l’épuisement de se noyer dans l’océan, mais n’y parvient pas, sauvée par les vagues qui la ramènent inexorablement hors de l’eau, pour qu’apparaisse enfin le visage de l’enfant. Linda, le corps allongé sur le sable, fixe le visage de sa fille qui lui sourit. Linda s’apaise : le lien peut renaître, l’enfant n’est plus seulement un fardeau.
- If I Had Legs I’d Kick You, un film de Mary Bronstein avec Rose Byrne, Conan O’Brien et Danielle Macdonald, présenté en compétition à la Berlinale 2025. Prix d’interprétation pour Rose Byrne.
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