Présenté en compétition à la 75e Berlinale, Ari, troisième film de la réalisatrice française, se distingue par la simplicité de son dispositif et la force qui s’en dégage. Léonore Serraille signe un film tendre sur la difficulté à exister. Et, aussi, un des plus beaux films du festival.
Après Jeune femme, il fallait un jeune homme. Dans Ari, Léonore Seraille creuse le sillon amorcé dans son premier film, qui mettait en scène le chaos intérieur d’une jeune femme (Laetitia Dosch), et dresse le portrait d’un jeune homme, Ari (incarné avec une douce intensité par Andranic Manet), en proie à la mélancolie et à des questions existentielles. À vingt-sept ans, rien ne lui réussit : il peine à se faire respecter comme professeur en maternelle, il voit rarement ses amis et sa vie amoureuse est inexistante suite à un acte de lâcheté, que ses amis comme son père n’ont de cesse de lui reprocher. Ces échecs viennent s’incarner dès le début du film, puisqu’au milieu d’un cours qu’il dispense en maternelle, il perd ses moyens et s’évanouit. Il est alors déclaré inapte à l’enseignement et est chassé de sa maison par son père (Pascal Reneric) qui l’enjoint à prendre ses responsabilités.
Ari traîne son corps de géant légèrement voûté de canapé en canapé, plongé dans une sorte de léthargie – comme le souligne le tableau d’un homme qui dort, sans cesse mis en regard avec l’odyssée sans but d’Ari. C’est alors l’occasion de retrouver des amis de longue date. Il erre, discute avec eux et cherche son modèle parmi des amis qui donnent l’impression d’embrasser pleinement le mode de vie qu’ils ont choisi – et qui semblent (un peu trop) prototypiques de leur milieu social, tantôt privilégié et donc malheureux (Théo Délezenne), tantôt modeste et forcément plus heureux (Ryad Ferrad). Toutefois, malgré la diversité des profils et des milieux, certaines questions guident Ari comme une boussole : Comment font les autres pour vivre ? Quelle est la place du travail dans leur vie ? Comment trouver sa place dans un monde qu’on peine à supporter ?
Ari cartographie les doutes et les aspirations de sa génération.
Nom de nom : l’enfance
En disciple d’Éric Rohmer ou même de Louis Malle (Le feu follet), la cinéaste construit son film autour des rencontres. De manière frontale ou plus subtile, ses amis d’enfance, Clara, Jonas et Ryad, incarnés par de (très bons) élèves du Conservatoire de Paris révèlent leurs aspirations, leurs quotidiens, leurs doutes. Certes, Ari est avant tout celui qui est observé par la réalisatrice. Mais il s’agit aussi de celui qui observe : par le truchement de ses deux yeux bleus tristes et aimants apparaissent les contours souvent plus ou moins flatteurs de ceux qu’il fréquente. La photographie en 16mm signée Sébastien Buchmann témoigne d’ailleurs de cette attention permanente, tant la caméra se rapproche en tanguant de ces visages qui, désormais proches, se révèlent dans toutes leurs grimaces. Ainsi, en revisitant concrètement ceux qu’il aime, amis comme amante, quand il n’est pas en train de revivre mentalement ses souvenirs, Ari cartographie les doutes et les aspirations de sa génération.
En contrechamp de ces rencontres souvent teintées de mélancolie – à l’exception d’une des scènes finales, lumineuse, où Ari interagit avec un jardinier et s’invente enfin au présent – apparaissent les visages rieurs des enfants qu’Ari fréquente. Le jeune homme porte sur eux un regard empli d’admiration et de bienveillance. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une scène où dialoguent Ari à trois ans et sa mère. Là, l’émerveillement de la mère face à son enfant – qui porte le nom du fils d’un peintre qui l’a faite basculer dans une période colorée – contraste avec l’état de désillusion qui habite Ari dans le reste du long-métrage. Cette scène primitive fait office de programme et de contrepoint : Ari n’aura de cesse de chercher la même douceur, les mêmes couleurs, celles de son enfance, parmi ses proches. En vain. C’est que pour Léonore Serraille, l’enfance reste un éternel paradis perdu – un espace où la tendresse fait encore foi.
- Ari, de Léonore Seraille, avec Andranic Manet et Pascal Rénéric, présenté en compétition à la Berlinale 2025.
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