Walk up un film de Hong Sangsoo

Walk Up : les frontières invisibles

Prolongeant la sobriété formelle de ses précédents films, Hong Sang-soo déploie, avec Walk Up, une intrigue faussement linéaire, reflétant les fantasmes épars de son personnage principal, double assumé – mais jamais figé – du réalisateur coréen.

Cinéaste pour le moins prolifique, Hong Sang-soo possède un rapport ambivalent au temps : il le condense dans son rapport à la production cinématographique (deux films par an depuis au moins 2008, souvent tournés en quelques jours) ; et joue régulièrement avec ses lois physiques dans la construction d’intrigues toujours plus minimalistes. Un goût de l’épure délimité par des lieux analogues (cafés, appartements, restaurants, parcs…) permettant le plus souvent de laisser cours aux plus intimes confessions sentimentales arrosées de Soju.

Yourself and Yours (2017) explorait ainsi le thème du double en mettant en scène la séparation d’un couple à cause d’un curieux malentendu. Tandis que Un jour avec, un jour sans (2016) s’articulait autour d’une rencontre amoureuse déclinée en deux versions, le récit étant rejoué au plan près mais avec une légère variation d’axe, de dialogue ou de texture qui opérait un décadrage dans la destinée des deux jeunes gens. Or, malgré les ressemblances, chaque film possède une singularité propre qui le distingue des autres et Walk Up ne fait pas exception.

Ascenseur émotionnel

Walk Up reprend ce motif du « presque identique » en le multipliant cette fois par deux. Le film est construit autour de quatre variations d’une même histoire, celle de Byungsoo, un réalisateur qui renoue avec une ancienne amie, Ms. Kim, propriétaire d’un immeuble dans le quartier de Gangnam. Accompagné de sa fille, les discussions s’enchaînent, se ressemblent mais ne suivent pas : chaque étage parcouru établissant une trouée dans l’espace mental de Byungsoo. De prime abord, on pourrait croire qu’il s’agit du même récit à différentes époques séparés par des ellipses, mais à la ligne droite Hong Sangsoo préfère la boucle ou le ruban de Moebius sur lequel il brode les visions évanescentes de son personnage. Franchir une nouvelle porte, emprunter un escalier, c’est entrer dans un nouveau monde, la matérialisation des espoirs brisés et des désirs contrariés de Byungsoo.

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Si parmi les repères de mise-en-scène du cinéaste les habituels zooms avant sont absents, les scènes de repas agrémentées d’alcool de riz demeurent présentes. Elles constituent d’ailleurs les points nodaux autour desquelles s’articulent chaque variation de la vie de Byungsoo. Les rôles semblent les mêmes et pourtant de légères variations font osciller le récit dans une autre temporalité. La fille du réalisateur a fait des études aux beaux-arts avant de se reconvertir dans le design d’ameublement ; un parcours qui correspond étrangement à celui de la restauratrice du premier étage, Sunhee, alors que la fille du réalisateur n’est plus présente durant ce dialogue. L’ancienne amie propose à Byungsoo de lui louer gracieusement l’appartement du dernier étage puis devient effectivement sa propriétaire dans les deux autres fragments. Le rapprochement sentimental entre le réalisateur et Sunhee semble se concrétiser dans le troisième segment mais le bonheur conjugal prend doucement l’eau ; tandis qu’il rayonne autour d’un repas ensoleillé dans le dernier segment en compagnie d’une femme nouvellement apparue dans le récit. Byungsoo est filmé comme un éternel insatisfait, cherchant la compagnie des femmes mais s’avouant à lui-même qu’il “se sent bien quand [il est] seul”.

Hong Sangsoo immerge ses personnages dans une sorte de bulle spatiale, presque cotonneuse

D’un monde l’autre

Usant d’une économie de moyen désarmante, le film tire parti de son unité de lieu pour accorder les espaces avec la bascule d’un état mental à un autre. Walk Up est sans doute le film de Hong Sangsoo le plus « immobile », les déplacements des personnages n’excèdent pas le périmètre de l’immeuble. L’enfermement étant toutefois compensé par des pauses cigarettes devant la devanture du restaurant, sur le balcon donnant sur la rue ou lors d’un moment suspendu sur la terrasse du dernier étage. Hong Sangsoo immerge ses personnages dans une sorte de bulle spatiale, presque cotonneuse, à l’instar de Juste sous vos yeux où Lee Hyeyoung retrouvait une lointaine amie dans un jardin hors du monde où perçait uniquement la rumeur de la ville.

Le plus remarquable, ce sont ces transitions imperceptibles qui – sous leurs airs de faux raccords – opèrent chaque passage d’un temps à un autre avec une élégance et une modestie déstabilisantes. La mise en scène de Hong Sangsoo se joue des frontières établies et des images toutes faites. Le motif se répète ainsi à chaque coupe d’une variation à l’autre : la fille de Byungsoo part à la supérette acheter des bouteilles de vin et c’est le père qui revient à pied faisant mine de découvrir le restaurant pour la première fois ; il s’endort sur le lit de l’appartement du deuxième étage avant de se réveiller dans celui du troisième ; il attend sa compagne devant l’immeuble en fumant une cigarette et voit revenir sa fille avec les bouteilles de vin tout juste achetées dans le premier segment. La boucle est bouclée. C’est tout simple. C’est tout beau. Et tout peut recommencer.

  • Walk Up, un film de Hong Sangsoo, avec Hae-hyo Kwon, Hye-Young Lee, Seon-mi Song. En salles le 21 février 2024

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