Vampire humaniste cherche suicidaire consentant

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : cure de jouvence

Tendre film d’apprentissage à l’esthétique indie, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant pose avec justesse le problème du mal-être adolescent au cœur du genre horrifique. 

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Vampire humaniste cherche suicidaire consentant

Il est loin le temps des femmes vampires érotisées, aux dents acérées, prêtes à bondir sur leurs amants. Le néogothique des années 1960 est passé de mode. Aux oubliettes le vieux comte assoiffé de sang dans son château de Bran. Et c’est tant mieux. La femme vampire n’est pas une vilaine sorcière pour Ariane Louis-Seize, qui signe ici son premier long-métrage. Sasha (Sara Monpetit) est une jeune fille réservée qui préfère au brouhaha du monde la voix mielleuse de Brenda Lee lorsqu’elle chante Emotions. Mais il se trouve qu’elle est née vampire et dissimule bien mal le regret d’être née derrière sa frange noire de punkette. Sa famille est patiente, fournit gîte et couvert (poches de sang frais sirotées à la paille) sans broncher et se tient prête à l’accompagner dans sa découverte du mode de vie vampirique, pour peu qu’elle en accepte enfin les règles cruelles. Sasha se refuse obstinément à l’initiation parce qu’elle ne veut pas donner la mort, de sorte que sa métamorphose physique – la pousse des crocs en l’occurrence, un peu comme dans Le Règne animal de Thomas Cailley – est constamment retardée. Semblable à une chenille piégée dans sa chrysalide, Sasha traîne son chagrin dans la nuit noire et envisage même un instant de mettre fin à ses jours.

Bonjour tristesse

À partir de ce refus peter-panesque de grandir, Ariane Louis-Seize construit un film mélancolique, à l’atmosphère duveteuse, qui rappelle de nombreuses figures déprimées par leur condition monstrueuse : les vampires de Jarmusch amateurs de Milton, la jeune fille iranienne à l’allure de nonne démoniaque dans le récent A Girl Walks Alone at Night de Ana Lily Amirpour ou encore le couple maudit de Twilight… 

En associant les genres du coming-of-age et du film de vampire, Ariane Louis-Seize défait le mythe de la prédation.

Un jour, Sasha croise la route de Paul, un jeune garçon de sa classe hanté par un désir suicidaire. Ces deux-là se reconnaissent dans le malaise adolescent. La vampire fin-de-siècle s’inspirait de Salomé, réactualisée en femme fatale, devenue femme castratrice. Celle du XXIᵉ siècle titube sur le seuil de sa vie d’adulte en espérant trouver une issue au conflit intérieur joliment qualifié d’humaniste. Et c’est comme si la furie vengeresse de ses prédécesseuses l’avait depuis longtemps quittée. En situant le vampirisme dans une bourgade canadienne ordinaire, la cinéaste s’autorise aussi un traitement comique du problème. On est loin des contrées hostiles où les monstres vivent reclus dans des forêts enneigées. Les vampires habitent des banlieues pavillonnaires et doivent fréquenter l’école, où la moindre goutte de sang, malencontreusement versée, suscite la tentation. De même, le vampire cesse ici d’être une figure solitaire, il vit en famille. Celle de Sasha est sympathique, aimante, une famille banale qui sélectionne ses victimes avec soin. La cousine Denise est une artiste-peintre boute-en-train qui prend Sasha sous son aile pour lui apprendre les rudiments du traitement des cadavres, de sorte que le film s’autorise de nombreuses scènes comiques, délicieusement incongrues, mêlant la trivialité de la vie pratique aux tourments existentiels.

Alliance de sang

C’est là tout le charme de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : en associant les genres du coming-of-age et du film de vampire, Louis-Seize défait le mythe de la prédation et interroge le fantasme de la transgression que l’on associe à la créature. Sasha et Paul rêvent de rentrer dans le rang, de correspondre à une norme qui apparaît comme irrémédiablement fuyante. 

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Ils sont épuisés de vivre dans les marges, et ne nourrissent aucune fascination pour l’au-delà. Dans la deuxième partie, les enfants maudits décident de fuguer et font un bout de chemin ensemble. Paul trouve en Sasha une faucheuse qui lui veut du bien et qui l’aidera à satisfaire ses dernières volontés. Même l’écueil de la romance est adroitement évité puisque les adolescents ne sont pas âmes sœurs mais amis de circonstance. Eux qui portaient la pulsion de mort comme un fardeau, s’associent pour y trouver remède. L’échappée est décrite sur un mode kitsch – nostalgique si l’on veut – avec de nombreux angles inspirés de l’expressionnisme allemand, des lumières ténébreuses et des chansonnettes yéyé. Nul doute que cette douce variation sur le mythe du vampire rencontrera le goût actuel en faisant écho à notre angoisse de la conformité.

  • Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, réalisé par Ariane Louis-Seize, avec Sara Montpetit, Félix-Antoine Bénard. En salles le 20 mars.

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