Au Théâtre Silvia Monfort, Raphaëlle Boitel et la compagnie L’Oubliée(e) présentent Un contre un, une impressionnante chorégraphie acrobatique retraçant la quête mythique et amoureuse d’Orphée et Eurydice. La musique, le cirque, le théâtre et la lumière s’en font les guides facétieux, garants d’une poétique éclairée à destination du jeune public mais qui éblouit tout le monde avec la même force.
Dans une obscurité quasi-totale, le contour d’une main apparaît. Puis une deuxième, une troisième et une quatrième main se mettent à danser ensemble, empoignant et traversant les barreaux d’une échelle à l’horizontale. Dans ce gracieux ballet, les mains se multiplient et disparaissent aussi vite au rythme de la musique du quatuor à cordes que l’on ne distingue pas encore dans le noir. La vivacité de cette chorégraphie introductive met en doute la perception : combien d’interprètes se cachent derrière cette échelle ? Apparaissent alors un fragment de jambe, un morceau de bras, puis deux visages : ceux des interprètes Alejandro Escobedo et Julieta Salz, dont les deux corps construisent à eux seuls cette fable acrobatique et poétique.
Savoir s’aimer
La circassienne et metteuse en scène Raphaëlle Boitel réinterprète ici le mythe d’Orphée et Eurydice, deux amants maudits qui passent leur temps à se chercher jusqu’aux tréfonds des Enfers, sans pouvoir se regarder. Luttant contre des jeux d’ombre et de lumière qui découpent l’espace avec justesse et limpidité, chaque acrobate tente de retrouver son âme sœur et cet autre corps qu’il croit compléter le sien. Pourtant, le drame guette toujours, même dans les retrouvailles : les mains qui aiment, caressent et enserrent l’autre sont aussi des mains qui bâillonnent, étouffent et oppressent.
La compagnie L’Oublié(e) désosse le mythe par le jeu, et fait d’Orphée et Eurydice deux acrobates sensibles et clownesques
Dans cette première création à destination du jeune public, la compagnie L’Oublié(e) désosse le mythe par le jeu, et fait d’Orphée et Eurydice deux acrobates sensibles et clownesques. Alejandro Escobedo et Julieta Salz sont tous les deux d’une grande expressivité et, sans mots, dessinent avec précision et fantaisie les contours du couple, de la dépendance et de la liberté. On y voit deux enfants qui jouent à imiter leurs parents, témoins silencieux des amours fondateurs qui se délitent. À l’aide du clown, de la danse et de l’acrobatie, Un contre un modèle avec inventivité un conte original et amoureux.
Écrire le frisson
Autour de ces deux amants, gravitent quatre musiciens et musiciennes. À l’aide de deux violons, d’un violoncelle et d’une contrebasse, se déploie la bande-son de la quête amoureuse, poème sonore rythmique et puissant qui accompagne et sublime les acrobaties. L’écho prolonge parfois les instruments eux-mêmes, grâce à une sonorisation permettant des jeux d’amplification et de dilatation, et une plongée totale dans cette esthétique du sensible. Les musiciens et musiciennes font partie intégrante de la mise en scène, eux aussi auréolés par les jeux d’ombre et de lumière. Loin d’être statiques, ils suivent littéralement les deux amants dans leurs aventures, dont ils deviennent les compères poétiques et enchanteurs.
Il y a quelque chose de magique dans ce spectacle : au creux de ces découpages millimétrés de lumière, les corps apparaissent et disparaissent sans qu’on ait le temps de cligner des yeux.
À l’aide de deux violons, d’un violoncelle et d’une contrebasse, se déploie la bande-son de la quête amoureuse, poème sonore rythmique et puissant qui accompagne et sublime les acrobaties.
Le réel se détricote pour laisser la place au songe, là où les échelles s’évanouissent et les robes s’envolent. Raphaëlle Boitel déploie une écriture du frisson qui résonne largement chez les jeunes (et les moins jeunes) spectateurs et spectatrices : elle invente des mondes où l’on peut disparaître en un claquement de doigts et marcher la tête en bas.
Avec humour et fantaisie, Un contre un élabore un riche univers esthétique à la frontière du cirque, du théâtre et de la musique, servi par une attention à la lumière de grande qualité propre à la compagnie L’Oublié(e). C’est une plongée dans le rêve et la réflexion, dans un monde de merveilles où l’on apprend à s’aimer, pas seulement comme le miroir de l’autre, pour inventer nos propres mythes.
- Un contre un, mise en scène et chorégraphie de Raphaëlle Boitel – compagnie L’Oublié(e), collaboration artistique et lumière de Tristan Baudoin, musique originale d’Arthur Bison, interprétation d’Alejandro Escobedo et Julieta Salz (acrobaties) et de Clément Keller, Sarah Tanguy, Eléna Perrain et François Goliot (musique live). Jusqu’au 30 décembre 2023 au Théâtre Silvia Monfort (Paris).
Crédit photo : Un contre un © Tristan Baudouin
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