Oscar Coop Phane

Oscar Coop-Phane : chaque vainqueur a besoin de perdants

Si vous souhaitez vous renseigner sur la masculinité toxique, vous pouvez consulter des études savantes, assister à des conférences, regarder des documentaires éducatifs, écouter des podcasts, suivre le discours médiatique. Ou bien lisez Un Arabe, le nouveau roman d’Oscar Coop-Phane, tout aussi instructif. 

Il est aisé de passer à côté de cet auteur, pourtant fort prolifique. Alors qu’il n’a pas encore atteint cet âge terrible où, selon Péguy, nous devenons ce que nous sommes, sa bibliographie compte déjà neuf romans. Dont le premier, Zénith-Hôtel (Finitude, 2012), fut tout de même lauréat du Prix de Flore. Dans l’une des entrevues disponibles sur Internet, Coop-Phane avance que son œuvre exploite des personnages situés en marge de la société ; que ce soit de manière réfléchie ou involontaire. Les thèmes abordés s’étendraient en conséquence de la solitude à l’injustice. Un Arabe se situe tout à fait dans cette démarche. La sobriété du titre est accompagnée par un foisonnement d’intertextes et de significations, allant de la littérature à la sociologie. 

Facing the sun

La première chose qui frappe en attaquant le livre, c’est la langue. Des mots simples et justes, ni faussement relâchés, ni prétentieusement recherchés, consciencieusement réunis en phrases qui s’enchaînent allègrement et où les sinuosités sont constamment rattrapées par des énoncés brefs et prégnants : « Elle est retournée au salon. C’est l’ambiance qu’on imagine. Une table ronde, en bois vernis, dont le centre est recouvert par un napperon impeccable, quatre chaises qui ne servent plus depuis longtemps et au fond, à gauche, le meuble de la télé, en verre opaque et rétroéclairé. Il y a une vitrine avec plusieurs bibelots. ». Bien que l’ambiance et le décor du récit (une chasse à l’homme dans une commune méridionale) soient en proie à un certain enfermement lequel, par moments, rejoint la claustrophobie des esprits étriqués, le texte reste néanmoins aéré, lumineux et accessible. Il donne naissance à des images mentales complexes et variées, gorgées de vécu. Une indéniable légèreté s’en dégage. En suivant la piste berlinoise, inhérente à la biographie de l’auteur, il ne serait dès lors pas aberrant de rapprocher le récit de Coop-Phane aux rythmes, à la fois trépidants et volatils, d’un Fritz Kalkbrenner. 

À travers une succession de notices biographiques, se met ensuite en place un kaléidoscope de carrières, de parcours, de vies, souvent tombés en panne.

Inéluctable

L’intrigue repose sur un fait divers aussi banal que l’engrenage déclenché se révèle irréversible et son dénouement tragique. Une femme âgée a perdu sa monnaie ainsi que sa carte bleue. Déduction inéluctable : le vol. Interpellés par ses cris, les premiers voisins débarquent. Rapidement mis aux faits, ils désignent tout naturellement un bouc émissaire qu’ils s’engagent, épaulés par les riverains, d’arrêter afin de lui demander des explications. On se doute bien que celles-ci ne seront pas uniquement rhétoriques. 

À travers une succession de notices biographiques, se met ensuite en place un kaléidoscope de carrières, de parcours, de vies, souvent tombés en panne. Il s’avère que la soif de justice sociale n’est pas forcément la seule motivation dans cette arrestation : « Fred est persuadé qu’une bonne torgnole met toujours tout le monde d’accord. Il ne croit pas bien au langage parce qu’il pense que c’est fait pour mentir. Autour de lui, de toute manière, il ne voit que des menteurs. Les politiques, les journalistes, mais les copains aussi, et sa femme, surtout ». 

Coop-Phane maîtrise l’art de créer des caractères convaincants et authentiques qui gagnent spontanément en épaisseur. Avec juste ce qu’il faut d’intimité et d’éloignement. S’il y a affection, celle-ci est rapidement noyautée de moqueries. Propice aux interstices, la polyphonie du roman engendre ainsi un mouvement d’aspiration, de happement, qui tire le récit vers l’avant. 

C’est l’halali ! 

Il s’agit en réalité  d’une histoire de virilité toxique. Au fur et à mesure des chapitres se tisse une toile de plus en plus dense d’où émerge une sorte de portrait-robot que l’on peut aisément concevoir comme le versant négatif du héros masculin ; au sens que la mythologie grecque et latine lui donne. Ce n’est plus de larcin qu’il est question, mais de désœuvrements, de frustrations personnelles et collectives, de rêves brisés, de stupeurs, de réflexes de groupes, et surtout de capacités intellectuelles effroyablement limitées. À tout cela il faut un exutoire. « Au loin, la meute de tous les hommes a gonflé. Aux fenêtres, on a regardé ce qu’il se passait et on est parfois descendu prêter main-forte. Ils sont dix, peut-être quinze. Fred a voulu s’imposer en leader. Il a lancé des slogans. Personne ne l’a suivi dans sa folie politique. Élargir le débat, ça ne leur disait rien. Ce qu’ils voulaient, c’était l’Autre. »

Hélas, le faible cherchera toujours plus faible que lui.

  • Un Arabe, Oscar Coop-Phane, Éditions Grasset, janvier 2025.
  • Crédit photo : © Jean-François Paga/Grasset.

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