They shot the piano player

They shot the piano player : où étais-tu pendant la nuit ?

En 1976, Tenório Junior, pianiste virtuose de la bossanova, disparaît au milieu de la nuit. Il ne sera jamais retrouvé. Cinquante ans plus tard, Fernando Trueba et Javier Mariscal se lancent à sa recherche dans un documentaire coloré, restituant par l’animation une Amérique latine entre effervescence et autoritarisme

They shot the piano player

Ont-ils tiré sur le pianiste ? Au début, les amis de Tenório n’en étaient pas sûrs. Ça pouvait être un accident, ou une fugue. Il reviendrait peut-être. On ne disparaît pas comme ça, au détour d’une rue, en allant chercher un médicament, un sandwich, ou on ne sait quoi d’autre. Pourtant, le jeune musicien ne reviendra pas. Alors, la question se déplace : pourquoi a-t-on tiré sur le pianiste, et qui sont-« ils », ceux qui tiennent le pistolet ? À travers Jeff, leur alter-ego journaliste, Fernando Trueba et Javier Mariscal mènent l’enquête, tant pour éclaircir les causes de la mort de Tenório Junior que pour éclairer sa vie et son œuvre. Nous partons donc pour le Brésil — celui des années 2010, temps de l’enquête, mais aussi des années 60, à l’éclosion de la bossa nova. Le portrait de Tenório Junior permet au long-métrage d’aborder aussi l’histoire de ce genre musical et de l’Amérique latine, au cours de nombreux entretiens avec les grands musiciens du genre. Touche par touche, des amis et des collègues se souviennent des improvisations, de l’atmosphère créatrice qui baignait dans le Rio des années 60, et de leur ami, baigné des lumières jaunes des bars et du soleil. En recueillant ces paroles endeuillées, They shot the piano player a des airs d’enterrement qui n’a jamais eu lieu. 

Sortir des gammes 

Le long-métrage d’animation repose sur un savant mélange d’époques et de pays : le Brésil de la bossa nova rencontre l’Argentine des années de plomb tandis que New York et Rio s’entremêlent à l’orée des années 2010. Une palette intelligente accompagne chaque période. Si le temps de l’enquête se caractérise par un réalisme allant du gris au jaune pâle, les couleurs pétaradent dans les rues insouciantes des années 60 ; puis, venant trancher le tout, Buenos Aires, au bord du coup d’État, s’étale en gros contrastes noirs. Ces deux dernières identités graphiques éclipsent entièrement les tons plus mollassons de l’enquête. Elles viennent également rompre avec un effet auquel le long-métrage fait constamment recours : des interviews face caméra, style petit écran. Passé l’étonnement de voir ce dispositif en animation, on ne peut que s’interroger sur la volonté de le conserver. Assez figées, ces séquences face-cam ne parviennent pas à se faire une place face aux autres scènes, et rompent l’élan qui parcourt le reste du long-métrage. L’animation semble retenue, empêchée dans son déploiement, forcée de suivre ce qui a été préalablement filmé par une caméra. Le contraste est d’autant plus grand avec les reconstitutions du passé où l’animation, libre, joue avec le découpage de la lumière, des couleurs et des formes, créant un lieu d’expression artistique plus en symbiose avec le thème du long-métrage. 

L’animation semble retenue, empêchée dans son déploiement.

C’est en effet ce qu’on pourrait le plus reprocher à They shot the piano player. Le récit est bien amené ; on ne se perd pas dans les allers-retours géographiques et temporels ; les recherches entreprises pour raconter cette histoire sont impressionnantes ; le long-métrage réussit à s’adresser autant aux novices qu’aux férus de bossa nova. Mais les moments de liberté créatrice sont trop fugaces et le rythme boîte parfois. Le long-métrage commet, dans sa construction, quelques maladresses. Ainsi, si l’on nous explique que la musique de Tenório peut suspendre le temps, cela semble exclure la voix-off, qui recouvre malgré tout une partie de ses morceaux. Voyage agréable aux teintes amères, hommage parfois touchant, They shot the piano player n’a cependant pas la virtuosité des musiques qu’il embrasse. 

  • They shot the piano player, un film de Fernando Trueba et Javier Mariscal, avec les voix de Jeff Goldblum et Tony Ramos, en salles le 31 janvier 2024.

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