Frédéric Bécourt

Frédéric Bécourt : l’insensible miraculé

Guillaume Labarthe, célèbre gamer, est rescapé d’une fusillade à Paris. Le jeune homme doit sa survie à un réflexe de thanatose, à savoir de simulation naturelle de la mort, ce qui est un écho à son mode de vie et à sa personnalité. Sa petite amie, Alice, est morte dans l’attentat. Guillaume fuit tous ceux qui attendent de lui la juste posture de la victime, pour se réfugier dans le monde virtuel. Il finit par croiser l’avatar de son amoureuse dans Omniverse. Comment est-ce possible ? Qu’est-ce que cela implique dans son rapport au monde et à la mort ?

Thanatose. Le titre du dernier roman de Frédéric Bécourt porte le nom d’un moyen naturel de défense des animaux simulant la mort. Guillaume Labarthe a eu ce réflexe déstabilisant et salvateur lors d’une attaque terroriste. D’abord déclaré mort, il se réveille quelques heures plus tard, à l’hôpital, indemne. Il s’est simplement absenté de son corps. La fusillade a eu lieu dans un local paroissial parisien, lors d’une distribution de colis alimentaires du Secours catholique. Guillaume apprend à l’hôpital la mort de sa petite amie, Alice.

Guillaume est le narrateur de sa propre histoire. Nous découvrons un jeune homme d’à peine trente ans, totalement insensible au monde, et bien incapable d’endosser le rôle de la victime que tous les proches et lointains observateurs attendent de lui. « Quand les autres pleurent, je ne ressens rien. Même la nuit, seul avec mes pensées, mes souvenirs et mes fantômes, je ne ressens rien. Je ne ressens aucune honte, aucune fierté non plus d’avoir survécu. » Il se sent bien incapable de se suggérer des sentiments usuels, incapable de produire des raisonnements comme les autres. Finalement, faire le mort lui va bien.

Guillaume, le miraculé, vit avec sa mère. Leur quotidien, dans l’ombre du père mort, est jonché de vacheries et ponctué de tendresses trop rares. Plus nous découvrons le jeune homme, et plus nous trouvons que son expérience de thanatose apparait comme la suite logique d’une vie désincarnée. Les seuls amis de Guillaume Labarthe sont des gamers, ils ne le connaissent que sous le pseudonyme de Slashg0rd0n. Pour lui, la vie est un jeu vidéo. Les émissions Twitch représentent l’essentiel de son activité. À peine incarné, son corps n’est mobilisé que pour la salle de sport, dans un souci d’hygiénisme obsessionnel. « Je n’aime pas qu’on me touche. », confesse-t-il. Il a tout misé sur ses capacités intellectuelles, lui qui avoue n’avoir jamais rencontré jusqu’à ce jour de personne plus intelligente que lui. Son cynisme s’exprime dans la fierté de gagner six fois le salaire d’un chercheur au CNRS en se contentant de jouer six heures par jour.

Avec Thanatose, Frédéric Bécourt nous décrit comme un nouveau stade d’évolution de l’être, le gamer, que l’on pourrait appeler Homo-Technicus.

À travers Guillaume, Frédéric Bécourt parvient à peindre une partie de notre société réifiée et esquisse ses conséquences sur la nature même de l’homme. Mais qu’en est-il d’Alice, la petite amie ayant succombé dans l’attentat ? C’est là que le roman se transforme en polar d’un genre nouveau. Guillaume redevient Slashg0rd0n et déambule dans le monde virtuel appelé Omniverse pour se consoler du monde réel qui attend trop de lui. C’est à ces occasions qu’il croise à plusieurs reprises l’avatar d’Alice. Le vertige le prend. Il se met à dialoguer avec elle, mille détails convergent et viennent confirmer que c’est bien elle. L’insensible s’agite et se met à cogiter. Son rationalisme est ébranlé. Une brèche s’ouvre dans son esprit et son rapport à la mort change. Il cherche à relier technologie et métaphysique par le truchement de causalités puisées dans la physique quantique. On se souvient ici des vertiges que nous donnait Dantec dans sa science-fiction. On voit notre héros fébrile chérir les data de son monde virtuel comme substitut de religion et d’espoir, désirer un au-delà par les sciences et techniques.

C’est l’occasion pour notre romancier d’introduire un petit débat philosophique entre Guillaume et le père d’Alice. Ces deux-là sont aux antipodes et ne peuvent se rencontrer que dans le quiproquo ou le non-dit. Le père catholique et volontaire disserte sur le bien et le mal, leurs existences, sur la nécessité du combat contre le mal pour donner un sens à la vie et une verticalité à l’être. Pas sûr du tout que Guillaume, qui se qualifie lui-même de sans courage intellectuel ou physique, le rejoigne. En attendant, il continue de chercher à résoudre l’énigme de la présence d’Alice dans son monde virtuel. Arrivera-t-il à tuer sa pensée sur la mort : « Rien n’a moins de sens après qu’avant » ?

Avec Thanatose, Frédéric Bécourt nous décrit comme un nouveau stade d’évolution de l’être, le gamer, que l’on pourrait appeler Homo-Technicus. Guillaume, depuis tout petit, a pris l’habitude de se réveiller dans les limbes. Celui-là est-il encore capable d’avoir une vie intérieure, des questionnements métaphysiques – ce qui était jusqu’alors le propre de l’homme ? Est-il indépendant de la technique pour nourrir ses pensées, ses espoirs ? 

  • Thanatose, Frédéric Bécourt, Éditions Héliopoles, 264 p., 23€.

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