Sylvia Plath

Sylvia Plath, parcours d’une poétesse insaisissable 

Poétesse de la « rébellion au féminin », de la « psychose », et de la « mort », Sylvia Plath est nommée ainsi par de nombreux lecteurs et lectrices qui admirent et célèbrent la singularité de sa voix. Le succès posthume de Sylvia Plath, amplifié par la publication de ses œuvres majeures après sa mort, a été entaché par une réception problématique et controversée. 

Sylvia Plath, La Cloche de détresse

Née en 1932 près de Boston, Sylvia Plath révèle son talent littéraire dès son plus jeune âge. Son passage à Smith College et à l’université de Cambridge est marqué par des luttes contre la dépression, thématisées dans son œuvre emblématique, The Bell Jar (La Cloche de détresse). Sa rencontre avec Ted Hughes, son futur mari, s’inscrit dans un parcours marqué par l’angoisse existentielle, la fragilité mentale et les difficultés émotionnelles et financières. Atteinte depuis l’enfance par l’angoisse de vivre, Sylvia Plath semble avoir été fragilisée par ces expériences qui l’ont poussée à mettre fin à ses jours le 11 février 1963, à l’âge de 30 ans.

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Un succès littéraire posthume 

De son vivant, Sylvia Plath ne publie qu’un recueil de poèmes à l’écho mineur, The Colossus (1960). Son unique roman, The Bell Jar, publié en 1963 un mois avant son suicide, a été accueilli avec un vif intérêt en Angleterre et aux États-Unis. Mais c’est en 1966 avec la publication d’Ariel que le nom de Sylvia Plath devient célèbre. En 1971, sa réputation de poétesse est déjà solidement établie et ses deux derniers recueils, Winter Trees et Crossing the Water, sont bien accueillis par le public et les critiques. The Bell Jar est également réédité à New-York cette année-là, dans un contexte propice à son succès. La figure d’Eshter Greenwood, jeune femme déchirée entre son ambition littéraire et les stéréotypes féminins de l’époque du maccarthysme, résonne avec toute une génération.

« J’étais censée être on ne peut plus heureuse. 

J’étais censée être jalousée dans toute l’Amérique par des milliers d’autres collégiennes comme moi. Leur plus beau rêve est de se balader dans les mêmes chaussures en cuir verni, pointure 7, achetées chez Bloomingdale’s à l’heure du déjeuner, avec une ceinture de cuir noir verni et un sac en cuir noir verni assorti. […] 

Il y en aurait pour dire :  « Regardez ce qui arrive dans ce pays. Une fille vit pendant dix-neuf ans dans une ville perdue, elle est tellement pauvre qu’elle ne peut même pas se payer un magazine, et puis elle reçoit une bourse pour aller au College, elle gagne un prix ici, remporte un concours là, et la voilà aux commandes de New York, comme s’il s’agissait de sa propre voiture. »

Seulement, je ne contrôlais rien du tout. Je ne me contrôlais pas moi-même. Je ne faisais que cahoter comme un trolleybus engourdi, de mon hôtel au bureau, du bureau à des soirées, puis des soirées à l’hôtel et de nouveau au bureau. »

Un portrait trouble 

Le nom de Sylvia Plath est déjà largement reconnu lorsqu’elle publie ses recueils, et les étiquettes de « confessionnels », « autobiographiques », et « féministes » qui sont accolées à ses textes reflètent et restreignent leur portée d’une manière unique, bien plus que chez ses contemporains. Si son œuvre s’inspire de ses expériences personnelles, ouvertement abordées (multiples tentatives de suicide, relation conflictuelle avec son mari, deuil de son père, maternité, équilibre fragile entre vie familiale et carrière, lutte contre les normes imposées aux femmes et à la vie domestique), le rapport tant questionné entre vie et œuvre se donne à lire dans une intégralité discordante et paradoxale qui a complexifié la critique et la réception. « Ces poèmes furent composés dans des circonstances qui, pour un grand nombre de raisons, rendent la critique difficile ». Ces mots d’Alfred Alvarez disent en effet combien le voile d’ambiguïté autour des textes et de l’histoire personnelle de Sylvia Plath émanait du danger de marginalisation de l’œuvre. D’une part, la confusion regrettable issue de la fusion entre la biographie et l’œuvre a déséquilibré la lecture en privilégiant excessivement la dimension factuelle des textes. D’autre part, il est indéniable que l’histoire tragique de Plath et son suicide ont amplifié l’intérêt et la curiosité des lecteurs pour le destin tourmenté de cette poétesse, mais ont simultanément contribué à l’exclure en tant qu’écrivaine. Ainsi que l’affirme Hermione Lee, biographe de Virginia Woolf : « Les femmes dont la vie a été marquée par les abus, la maladie mentale, l’automutilation, le suicide, ont souvent été traitées comme des victimes ou des cas d’école psychologiques d’abord, et comme de véritables autrices ensuite. » Le constat est le même pour Sylvia Plath, dont le suicide l’a mythifiée et pathologisée comme une prêtresse de la dépression et de la mort dans les films, la télévision et les biographies. Coincée entre l’icône et le cliché, Sylvia Plath est devenue un symbole paradoxal de la fragilité féminine, du génie féminin écrasé par une société patriarcale. Néanmoins, la publication de ses lettres en 1975, ainsi que ses journaux, publiés en 1998 puis réédités dans une version plus complète en 2000 (The Unabridged Journals of Sylvia Plath) sont autant de premières tentatives de démystifier son nom, et en somme, d’incarner cette voix dans la réalité du vécu de la poétesse, alors que les relations entre la vie et l’œuvre ont été abondamment analysées sous un angle autobiographique et que les opinions au sein de la critique littéraire ont été très partagés quant à la légitimité artistique d’une littérature dite « confessionnelle ».

Coincée entre l’icône et le cliché, Sylvia Plath est devenue un symbole paradoxal de la fragilité féminine, du génie féminin écrasé par une société patriarcale

« Quelle décision intérieure dois-je prendre, quels meurtres ou évasion de prison commettre, pour enfin faire parler ma voix profonde dans l’écriture […], et ne plus sentir mes sentiments bloqués derrière un barrage de verre, façade imaginaire d’une mise en mots muette, paralysée. »

Confessionnalisme et dualité de l’œuvre 

Née aux États-Unis à la fin des années 1950 et portée par des auteurs comme Robert Lowell et Anne Sexton, la poésie confessionnelle doit son nom à sa dimension autobiographique et intimiste qui sert de cadre pour confronter le lecteur et le sujet à des réalités telles que la maladie, la souffrance mentale et les dynamiques familiales, révélées dans leur intimité troublante, ineffable. Des expériences dont le poète s’empare non moins pour dépeindre la réalité de la souffrance vécue que pour que le sujet puisse les incarner comme vérité.

Souvent exprimée sous forme d’aveu, l’écriture « confessionnelle » de Sylvia Plath prend forme dans la divulgation de la vie privée de la poétesse, dans l’exposition de sujets tabous, de traumatismes, faisant de son histoire personnelle troublante le motif d’une tentative de reconquête de son identité et de son existence par la parole poétique. 

 Entreprise doublement complexe donc, car elle exige d’atteindre un certain degré de clarté pour rendre compte de l’expérience vécue, en même temps qu’elle s’établit sur un terrain instable qui représente une identité fragmentée, une vision du monde nourrie par la conscience que le paradoxe et l’antinomie peuvent être des fondements de la réalité. Il n’en demeure pas moins que Sylvia Plath cerne parfaitement la vision d’une écriture affranchie du poids de la narration et de l’expression, en se focalisant davantage sur le regard interrogateur et transformateur posé sur le monde et sur sa propre présence. Ce mode d’appréhension de l’écriture invite à considérer le processus créateur comme un parcours autobiographique complexe, conscient de devoir explorer différentes facettes du moi afin d’aborder le vécu dans sa vérité instable et paradoxale.

Les textes de Sylvia Plath visent à exprimer par tous les moyens l’authenticité de l’expérience intérieure.

« Pour celui qui se trouve sous la cloche de verre, vide et figé comme un bébé mort, lui-même n’est qu’un mauvais rêve. Je me souvenais de tout. […] Peut-être que l’oubli, comme une neige bienfaisante, allait les recouvrir et les atténuer. Mais ils faisaient partie de moi. C’était mon paysage. »

Les textes de Sylvia Plath – contrairement à ce que la critique a longtemps plus ou moins affirmé – ne se limitent pas à la dimension réflexive de l’expérience vécue ; ils visent davantage à exprimer par tous les moyens l’authenticité de l’expérience intérieure ainsi que les images de soi qui ne sont jamais figées, mais déclinées à travers différentes voix, toujours en constante évolution. Si chez Sylvia Plath, comme chez d’autres poètes dits « confessionnels », l’expérience et l’œuvre sont indissociables, ce lien est caractérisé par des transgressions, des réévaluations ainsi que par une foi, même lorsqu’elle est niée, en la capacité de la parole à reconfigurer le sens de l’expérience vécue. Le processus d’écriture est, pour reprendre le titre du poème et du recueil de Plath, une « traversée », une « barque noire », sur un « lac noir » qu’il est nécessaire d’éclairer de sa propre parole. De l’observation de la fragmentation de l’être, à l’expression d’une foi, certes manifeste, mais instable, dans la puissance créatrice du langage qui ne se révèle être autre que le « bord du monde », c’est l’élan créateur qui donne au sujet plathien le sentiment d’exister pleinement et de lutter contre la dépossession et l’angoisse de vivre. 

« C’est autre chose
Qui m’entraîne fendre l’air – Cuisses, chevelure ;
Jaillit de mes talons 

Lumineuse
 Godiva, je me dépouille –
 Mains mortes, mortelle austérité 

Je deviens
 L’écume des blés, un miroitement
de vagues. »


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