Rapture

Rapture : les enfants de minuit

Dans l’épaisse forêt qui borde le village, plusieurs jeunes hommes disparaissent. On accuse des étrangers qu’on aurait croisés. On annonce aussi l’apocalypse. Dans Rapture, deuxième volet d’une trilogie à venir, le réalisateur Dominic Sangma revient dans les montagnes du Meghalaya où il a passé son enfance. Un film subtil où la peur est filmée sur un tempo tranquille. 

Rapture s’ouvre sur une scène de chasse. Dans une nuit parsemée de torches, courbé au pied des arbres, le village traque les cigales sur les troncs. Tous les arbres sont scrutés : on arrache méthodiquement les insectes de l’écorce. On les jette dans un seau. Les corps s’amassent. Pourtant, vu de l’extérieur, le spectateur assiste à une simple cueillette, à une récolte sans bain de sang. Une scène à l’image du long-métrage ; dans ces montagnes du nord-est de l’Inde, les tours de garde et la violence xénophobe ont des airs paisibles. Rapture est paradoxal sur ce point : alors qu’il raconte un moment de bascule pour le village, avec la disparition de jeunes hommes dans la forêt, la menace d’étrangers plus ou moins fictifs et l’annonciation de la fin du monde, partout, le long-métrage se concentre sur la routine.

Pour ce faire, Dominic Sangma alterne entre le point de vue presque omniscient d’une caméra qui passe d’un personnage à un autre, s’invitant dans leurs maisons et leurs intimités, et celui de Kasan, dix ans, à mi-chemin entre observateur extérieur et porte d’entrée sur ce monde clos. Réussira-t-on à capturer les étrangers responsables de la disparition des jeunes hommes ? Comment les punira-t-on ? Sont-ils vraiment annonciateurs d’une punition divine, comme l’affirme le prêtre du village ? Si l’heure est aux questions, aucun des habitants ne remettra en doute la culpabilité des étrangers, ni même leur existence. Entre chasse à l’homme et paranoïa collective, le film de Dominic Sangma frappe aussi par son analyse des comportements sociaux et des mécanismes de groupe. 

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Œil pour œil 

Entre chasse à l’homme et paranoïa collective, le film de Dominic Sangma frappe aussi par son analyse des comportements sociaux et des mécanismes de groupe.

En réalité, les habitants ne sont pas dupes : ils se doutent que les mots du prêtre ne sont pas tout à fait désintéressés (son discours s’accompagne d’une cagnotte pour contrer la fin des temps), et que le chaman a moins de don de voyance que de poules offertes en paiement. Pourtant, ils s’en remettent à eux, par habitude ou effet de groupe, mais principalement par peur. Autour d’eux se déroulent des événements de plus en plus inquiétants comme de mauvais présages  : les disparitions, mais aussi la mort subite de trois vaches et l’apparition d’une lune rouge sang. Quant à la police de la grande ville en contrebas, elle n’agit pas, et semble même se ranger du côté des étrangers en cherchant à les soustraire à leur justice. Rapture met en place un huis-clos pour mieux le disséquer. À aucun moment nous ne sommes envahis par la peur qui grandit peu à peu dans les esprits des villageois ; ce n’est pas notre rôle. Si Kasan est le témoin, c’est au spectateur d’intellectualiser et de penser la situation. Un travail largement préparé par le recul que la caméra prend vis-à-vis de ses personnages, rarement filmés de près, majoritairement en groupe. Le long-métrage privilégie ainsi de longs plans stables et épurés, bien (trop) loin de la folie qui gagne le village. C’est pourtant dans ces rares moments d’envolées oniriques que Rapture nous happe véritablement, et nous arrache à une posture purement analytique.

En approchant un instant la matière des rêves, Dominic Sangma ouvre une porte qu’il referme trop vite. Car le réalisateur ne laisse pas de mystère à démêler, préférant exposer placidement les mensonges et les manipulations. Il nous livre ici le regard d’un ancien Kasan qui a mûri et sû mettre des mots et des images sur son enfance. Nous suivons avec d’autant plus d’intérêt les découvertes du jeune Kasan, lui encore empêtré dans le poids des peurs des adultes. S’il ne semble pas approuver ce qu’il voit, il est incapable de le formuler pleinement. Dans cet univers, l’individualité n’est pas seulement noyée sous la volonté du groupe, mais elle ne peut tout simplement pas exister : aller contre les décisions du village, c’est trahir, c’est risquer l’exclusion, c’est impensable. Peu importe ce que tu penses, il y a un « eux » et il y a un « nous. » Alors, les hommes semblables se déchirent entre eux. 

  • Rapture, de Dominic Sangma, avec Torikhu A. Sangma et Handam R. Marak,  en salles le 15 mai 2024. 

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