Après un début très remarqué avec son film d’animation J’ai Perdu mon corps (2019), le réalisateur français Jérémy Clapin signe un film en prise de vue réelle. Il y met en scène une rencontre entre une jeune fille et des aliens qui viennent nous parler en creux de ces deuils que l’on ne peut pas faire.
Dans Aliène de Phœbe Hadjimarkos-Clarke (éditions du Sous-Sol, 2024) l’héroïne principale, Fauvel, vit dans un mal-être permanent. Si sa tristesse l’isole et la rend étrangère à sa propre vie, autre (alien !), ce sentiment d’étrangeté vient se matérialiser au fond de son jardin, puisqu’elle finit par se demander s’il n’y s’y niche pas des aliens. Fauvel est peut-être la cousine lointaine d’Elsa, l’héroïne du nouveau film de Jérémy Clapin qui traîne son spleen, dans une petite ville provinciale, depuis que son frère a disparu, trois années auparavant.
En effet, ce dernier, astronaute, s’est évanoui dans les mystérieuses abîmes de l’univers. Depuis, Elsa (Megan Northam) travaille dans une maison de retraite et passe le reste du temps à griffonner dans son carnet, quand elle ne tague pas avec colère le monument dédié à son frère. Le quotidien l’ennuie et la déprime jusqu’à ce qu’elle trouve une mystérieuse pierre qui lui permet d’entrer en communication avec d’étranges voix, de créatures aliènes, qui l’enjoignent à effectuer des sacrifices humains pour faire revenir son frère. Qui peut-on se permettre de tuer pour faire revenir quelqu’un ? Elsa se voit alors confrontée à des dilemmes moraux et éthiques – humains, en bref.
Comme dans Ad Astra (James Gray, 2019), où la quête de Brad Pitt jusqu’au fin fond de l’univers devenait une excuse pour chercher et tuer le père, cette rencontre du troisième type mène l’héroïne à entamer un cheminement vers deuil. Comme souvent, dans les films de science-fiction, la rencontre avec l’autre (incarné par le personnage type de l’alien) devient autant un moyen de sonder l’intériorité d’un être que de poser la question de l’humanité et ce qui le constitue. L’espace est donc ici la chambre d’écho d’un drame intime. Les étapes que l’héroïne franchit, afin de faire revenir son frère, et qui ménagent un suspens indéniable, sont autant d’étapes métaphoriques, qui, ont le comprend rapidement, permettront davantage à l’héroïne de se détacher de son frère que de le retrouver.
Les pieds sur terre
Malgré la thématique spatiale, nulle station ou scaphandre lunaire ici. C’est bien sur terre que Jérémy Clapin ancre son film. C’est donc par le truchement du jeu de l’actrice et d’un remarquable travail sur la musique – il faut souligner le très bon travail de Dan Levy – et sur le son que l’on devine la présence d’aliens. Cette précarité des moyens a pour force de faire la part belle à l’imagination et aux mystères : qui sont ces mystérieuses forces qui contactent Elsa ? À quoi ressemblent-t-elles ? Quel est leur dessein ? De la même manière que Christopher Nolan, dans Interstellar (2014) et contrairement à Alex Garland dans Annhilation (2018), Clapin fait le pari d’un alien irreprésentable, comme si l’imagination de l’artiste (et de l’humain) ne pouvait saisir les contours et les volontés d’autres formes de vies dans l’univers. Le cinéma devient alors le négatif d’un mystère insondable, irreprésentable, une manière de raconter aussi en négatif l’inexplicable.
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La représentation de l’espace ne se fait que par touches, lorsque le réalisateur renoue avec sa vocation première et dessine certaines parties en noir et blanc. Particulièrement réussies, ces scènes oniriques où le frère et la sœur se rencontrent constituent en filigrane les plus beaux moments du film.
Le cinéma devient alors le négatif d’un mystère insondable
Comme dans son précédent long-métrage, Jérémy Clapin ménage de la place à l’interprétation. Film de science-fiction sur les aliens, parabole sur le deuil, ou tout simplement sur la folie d’une héroïne qui ne ferait qu’entendre des voix imaginaires : aucune lecture ne peut être écartée. Cette liberté heureuse ferait la force de ce film si le déroulement de cette partition spatiale quelque peu linéaire laissait plus de place à la poésie, à l’émerveillement ou à la surprise. Ni le travail de mise en scène sobre ni la photographie ne parviennent à susciter une forme d’exaltation. À l’image d’un film sur l’espace filmé au ras du sol, Pendant ce temps sur terre reste peut-être trop terre à terre.
- Pendant ce temps sur terre, un film de Jérémy Clapin, avec Megan Northam. Sortie le 3 juillet.
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