Nicolas Mathieu : À cœur ouvert

Qu’est-ce que l’appartenance à l’amour ? Peut-on considérer l’amour comme une adhésion éternelle à une personne que l’on a aimée ? Le livre Le Ciel ouvert de Nicolas Mathieu en donne une définition illustrée par les dessins d’Aline Zalko qui animent les mots et les sentiments présents dans cet ouvrage. En retraçant l’histoire d’une histoire d’amour, il restitue plus globalement le récit d’un cœur éperdu en proie à la magie et au bouleversement causés par l’amour.

L’objectif de l’auteur est clairement identifié au début : restituer tous les extraits de textes qu’il avait déjà publiés auparavant sur Facebook et sur Instagram. Pour faire « la guerre au cours des choses », combattre le temps et ses conséquences, retrouver l’amour, comprendre en se regardant soi-même, les yeux fixés sur la réalité du vécu. Écrire aussi, pour permettre aux autres de s’identifier à cette force presque incompréhensible qu’est l’amour, cette puissance si personnelle mais qui pourtant a le pouvoir et la force de tous nous réunir et nous rassembler : « Oui, c’est bien moi, c’est bien ma peine et ma joie, mon histoire et notre affaire à tous ; voilà comme on nous accable et comme je veux exister à toute force. » Ainsi, à la manière d’Annie Ernaux, Mathieu suggère que le vécu personnel se confond avec le vécu universel, et toute la magie de l’écriture tient à cela, à cette identification déployée chez le lectorat – les aphorismes nous touchent comme les vérités décrites l’ont touché. Car, souvent, « il n’y a rien à faire qu’aimer ».

La forme, comme le ciel, est elle aussi ouverte, plus particulièrement entre les paragraphes qui sont structurés et pensés soigneusement : chacun d’eux constitue une unité indépendante. Ils pourraient effectivement être lus pour eux-mêmes, détachés de l’ouvrage pour exprimer des vérités à l’extérieur du texte publié, ce qui le rend finalement aussi unifié que fragmentaire et qui dessine l’espace nécessaire aux dessins de l’artiste : « nous avons ambitionné de réveiller ces puissances qui en chacun ruminent, ce sentiment qui parfois le matin nous prend à la gorge et nous fait dire, dans notre voiture ou face au miroir, les yeux mouillés et les lèvres pâlies : Bordel, ma vie n’aura-t-elle été que cela ? » Dessiner dans les silences et entre les mots, c’est écrire sur l’absence et sur les maux. 

Symbiose entre mots et dessins

Entre ces paragraphes, les traits du crayon d’Aline Zalko se glissent, esquissant le contour des idées qui semblent en émerger : le lectorat est ainsi guidé vers une relecture de l’œuvre. 

Ici, le dessin d’une valise et son chaos intérieur, la métaphore du passage d’un lieu à un autre, se glisse après un paragraphe dans lequel l’auteur exprime son désarroi face à la fin de l’histoire d’amour : « la vie repart », écrit-il. La valise, symbole de transition entre les deux mondes, vient enrichir l’imagination du lecteur qui projette désormais le voyage spirituel et physique de l’auteur. Il arrive parfois qu’il faille partir. Laisser l’oubli se mêler à l’amour, laisser les traits du dessin reprendre le fil des mots.

De ce fait, comme l’être amoureux attend l’attente, l’écrit et le dessin s’attendent respectivement pour finalement ne former qu’un seul corps. Des êtres tracés à certains endroits, des lieux à d’autres, pour finalement s’éclaircir grâce aux mots de l’auteur – par exemple, les éclaircies de l’amour reconstituent aussi le temps individuel. Ainsi pouvons-nous observer des illustrations reconstitutives de l’enfance de l’auteur : des mains qui se croisent, un enfant dessiné à sa table et qui permettent dès lors d’introduire une dimension autobiographique, voire nostalgique, à l’œuvre qui, en plus de se tourner vers l’amour, se tourne vers l’individu, lui-même tourné vers l’autre. Cette fusion de l’intime et de l’universel crée un espace littéraire riche en émotions et en réflexions, où chaque lecteur est invité à se perdre et à se retrouver dans les pages d’un récit qui transcende les frontières du temps et de l’espace.

Capter l’essence de l’amour : une quête artistique

Comme tout être amoureux, l’attente délibérée devient un piège inévitable

Comment la littérature et le dessin peuvent-ils rendre compte de ces réalités personnelles et interpersonnelle ? Nicolas Mathieu écrit : « La littérature ne sait rien de ton mouvement, de ton rire, du duvet sur tes cuisses, figés aussitôt qu’elle les touche, et j’échangerais sans hésiter mille ans d’écrivains pour une seconde de tes yeux, pour retrouver le son de tes pieds nus sur le parquet quand tu filais vers la salle de bains, pour entendre le claquement inquiet de ta sandale sous une table de jardin. » L’auteur exprime ainsi un désir ardent de transcender les limites du langage pour retrouver l’essence même de l’être aimé à travers ses sens : cette quête de vérité sensorielle révèle une profonde exploration de la nature de l’amour et de sa capacité à transcender les frontières de la perception. À travers ses dessins, Aline Zalko étend les horizons tracés par la plume de l’écriture, rendant tangible le regard, la présence et les lieux habitant les souvenirs du passé. Ces traits, tissés avec une précision remarquable, capturent la sensation à la fois terrible et prodigieuse d’être encore prisonnier du passé. Comme tout être amoureux, l’attente délibérée devient un piège inévitable, comme le souligne l’auteur : « t’attendre tout le reste de ma vie ». Cette perception unique est transmise à travers les manifestations singulières que l’état d’attente provoque chez l’être amoureux. L’obsession des retrouvailles devient alors une forme de souffrance nécessaire, un tribut payé pour le privilège d’aimer profondément. Comme le décrit l’auteur avec intensité : « Je t’attends, ruminant sans fin cette si belle douleur, ce sort infernal qui est de ne vivre que pour t’aimer ». 

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Notons d’ailleurs que, comme l’attente dans l’amour, où chaque moment semble prolonger l’agonie de la séparation tout en nourrissant l’espoir de la réunion, l’écriture et le dessin s’entrelacent dans une danse harmonieuse. Ils s’attendent, pour fusionner en un tout indissociable. Cette union des arts donne naissance à une expérience immersive où le lecteur est invité à explorer les profondeurs de l’âme humaine à travers des perspectives multiples.

Avoir écrit ces mots, les avoir partagés, entremêlés à l’œuvre de Zalko puis réunis en un livre pour le publier, n’est-ce pas d’ailleurs répéter cette attente multiforme ? Appartenir encore à l’amour ? 

  • Le Ciel ouvert, Nicolas Mathieu, Actes Sud, illustré par Aline Zako, février 2024
  • © Astrid di Crollalanza

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