FESTIVAL AMERICA 2024. Toute la semaine, Zone Critique couvre le festival America 2024 et vous donne accès au meilleur de la littérature américaine contemporaine.
Avec Bien-être, un roman américain aux multiples facettes traduit par Nathalie Bru, Nathan Hill décrypte les maux de notre présent à travers le prisme d’un couple.
Dans son second roman, Nathan Hill continue à ausculter l’Amérique et ses travers, faisant de la société contemporaine le miroir du passé. Ses deux héros s’observent dans l’obscurité avant de se rencontrer, amoureux avant même de s’être parlé. Dans un Chicago en pleine mutation, leurs fenêtres se font face et chacun se livre à un jeu d’ombres, ignorant que l’autre s’adonne au même. Tout les oppose mais ils se marieront et auront même un fils, se pliant par là aux règles implicites qui régissent les relations au long cours.
L’attirance des contraires
Elizabeth vient d’un foyer aisé qui passe ses vacances dans le manoir ancestral, les « Pignons », dans le Connecticut, sur la côte est. Les billets sur lesquels repose la fortune familiale sont teintés de sang plus ou moins séché, les ancêtres de la jeune femme ayant pêle-mêle été des « profiteurs de guerre », habillé les membres du Klan ou encore exploité des indigents. Comme un juste retour des choses, elle choisit pour voie le bien-être, étudiant les étonnants effets des placebos et s’inspirant des multiples études de psychologie qu’elle compulse pour expliquer le comportement de son fils. Jack, lui, est originaire des prairies sans fin du Kansas, celles que les fermiers embrasent une fois par an. Son père lançait lui aussi ces feux mortellement beaux qui illuminaient la nuit, fascinant l’enfant que Jack était alors, seul, violenté moralement par sa mère qui se livrait régulièrement à du chantage affectif. Il s’évadait en photographiant des arbres tordus, en jouant en solitaire à Donjons & Dragons et en se perdant dans la contemplation d’American Gothic, la fameuse toile de Grant Wood dont sa sœur, artiste bohème, lui avait offert une reproduction.
Bien-être est aussi une fresque sociétale brillante dans laquelle l’auteur parvient à incorporer presque toutes les affres de la modernité
Tous deux ont donc souffert de leurs jeunes années et gardent dans un recoin de leur cœur toute la douleur qu’ils ont emmagasinée, craignant de la transmettre à leur fils, ou pire, de reproduire les erreurs de leurs propres parents.
« Elle et Jack s’étaient installés à Chicago pour devenir orphelins, pour se défaire de leur incompatible famille de naissance et en créer une nouvelle avec des voisins de quartier sur la même longueur d’onde qu’eux. Et ils avaient réussi, pour un temps. Ce qu’ils n’avaient pas pris en compte, en revanche, c’est qu’au fil d’une vie les longueurs d’onde changent. Et avec elles la famille qu’on s’est choisie. »
Famille et société
Au-delà du roman familial qui entremêle soigneusement enfance bourgeoise, enfance rurale et enfance d’aujourd’hui, Bien-être est aussi une fresque sociétale brillante dans laquelle l’auteur parvient à incorporer presque toutes les affres de la modernité – « décristallisation amoureuse », nouveaux bobos, chasse au bien-être, révolution numérique, désaveux religieux, éducation impossible, gentrification –, ces travers répondant précisément aux difficultés rencontrées par ses deux protagonistes.
Le couple formé par Jack et Elizabeth bat de l’aile, à l’image de l’Amérique fracturée que nous connaissons depuis plusieurs années déjà ; chacun peine avec son propre travail qu’il doit concilier avec sa conception éthique ; chacun tâche de faire la paix avec son propre passé tout en embrassant un présent qui semble ne pas vouloir de lui. Elizabeth ne comprend pas son fils et son obsession pour une réalité alternative ; Jack ne comprend pas son père et ses élucubrations complotistes sur Facebook. Elizabeth rêve de pimenter son mariage ; Jack rêve de leur passion exclusive des débuts. Elle veut emménager dans un appartement immaculé à mille lieues de leur mode de vie brouillon et éminemment vivant ; lui veut un logement qui leur ressemble, aussi fouillis que leur premier nid d’amour.
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« Jack repensa à cet hiver-là, à ces mois pendant lesquels ils avaient été séparés par la distance d’une ruelle. Tout ce qu’ils voulaient à l’époque, c’était supprimer l’espace entre eux. Et à présent, ils étaient là, vingt ans plus tard, en train de le recréer. » (p74)
Leurs divergences d’opinion se rencontrent et causent ces frictions qui permettent à Nathan Hill de décrire les États-Unis d’aujourd’hui où hier a toujours une place si prégnante. Multiple et ample, complet mais étonnamment harmonieux, Bien-être est ainsi un véritable roman américain comme on les aime, engagé, tendre, drôle, réaliste et profondément humain.
- Bien-être, Nathan Hill, Gallimard, 2024.
- Crédit photo : Francesca Mantovani © Gallimard
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