Mémoires d’un corps brûlant

Mémoires d’un corps brûlant : Mièvres désirs

Dans son deuxième long-métrage, la costaricienne Antonella Sudasassi Furniss donne la parole à des femmes dont les désirs ont été réprimés. Une septuagénaire se livre sur sa vie intime avant de laisser la place à d’autres voix. Ces récits entrecroisés ne suffisent cependant pas à dépasser les clichés véhiculés par leur propos.

Mémoires d’un corps brûlant

Avant d’écrire son scénario, la cinéaste a enregistré huit voix. Elle souhaitait explorer la sexualité féminine en poursuivant le travail de son précédent film, The Awakening of the Ants (2019). Cette enquête donne naissance à un film. La séquence d’ouverture nous montre l’envers du décor, des techniciens s’installent et une femme s’apprête à jouer. Très vite le film abandonne cette mise en abyme et se concentre sur la fiction, seules les voix-off demeurent. Les enregistrements accompagnent trois comédiennes qui incarnent trois âges de la vie d’une femme. Enquête sur la sexualité de Pasolini en 1964 s’intéressait à plusieurs catégories sociales et plusieurs points de vue, ici ce sont les membres d’une même famille. Les voix qui parcourent le film renvoient à une parole universelle mais on peine à y croire, las de ces saynètes qui reproduisent des schémas parfois caricaturaux.

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Des femmes qui se tiennent sages 

L’ambition est annoncée dès l’ouverture : reproduire une conversation que la cinéaste n’a jamais eue avec ses grands-mères. Cette démarche réparatrice s’accompagne du témoignage de plusieurs femmes dont la pluralité permet d’illustrer des souffrances communes. Dans cette société latino-américaine catholique, les femmes n’ont pas ou peu de place pour exprimer leurs désirs. On suivra principalement Frau (Sol Carballo) qui déambule dans son appartement, effectuant des gestes du quotidien en s’attardant sur des objets chargés de souvenirs. Les journées se ressemblent, cette solitude était bien méritée. Ce premier visage va se livrer à nous, avec douceur, mélancolie et espoir. Le film se propose d’explorer le désir féminin d’une femme dont l’âge est sous-représenté dès lors qu’il s’agit de sexe. Mais très vite le récit la délaisse au profit d’une chronologie un peu attendue et décevante. On va découvrir les premiers émois d’une enfant puis adolescente, ses premières règles, ses amours, ses traumatismes. S’ensuivront le mariage et la maternité. Si le brassage des différents âges de la vie prétend illustrer l’éducation à la sexualité féminine et le joug de la morale qui l’accompagne, il empêche de dénouer des problématiques complexes et de s’attarder sur ce qui échappe au manichéisme. Les petites filles sont seules, elles le resteront une fois devenues femmes et appartiendront toujours à leur mari avec lequel elles ne jouissent jamais. Mais la réalisatrice ne nous dit pas grand-chose de ce désir. Seules les voix racontent des drames qui demeureront souvent dissimulés. L’intérêt serait peut-être de rapprocher Sudasassi de toutes ces femmes qui, comme elle, auraient quelque chose à nous dire mais ne le feront jamais vraiment. 

Psychologie simpliste, on aspire à un propos plus organique, une proximité plus intime.

Tiédeur et stéréotypes 

L’inventivité de ce film est donc purement formelle. Le dispositif dans lequel s’imbriquent témoignages et scènes de vie quotidienne organise l’ordre de la narration. La plus âgée passe à travers les pièces qui composent cette espèce de maison de poupée, trie des photos de famille, nous raconte ses souvenirs. Et nous voyons apparaître, dans le même plan, des personnages issus d’une autre temporalité. L’adolescente, sa mère et son nouveau-né, le mari violent… Une des narratrices nous explique que les souvenirs sont comme une bulle dans laquelle on tourne en rond, la bulle devient cet appartement que l’on ne quitte presque jamais et dans lequel la caméra tournoie, révélant des histoires qui s’entremêlent. Une polyphonie se déploie sous nos yeux, donnant vie aux événements passés ce qui permet d’illustrer les stigmates qu’ils représentent. Lorsque la femme nous raconte un souvenir et qu’il se ravive littéralement dans le plan, nous comprenons que le temps n’efface rien et que nous sommes marqués par les aléas de nos existences. Psychologie simpliste, on aspire à un propos plus organique, une proximité plus intime. Les séquences du passé supposément violentes restent timides et les corps pleins de désirs restent froids. Qu’en est-il de ce corps brûlant ? Ce qu’on touche est lisse, sans vibration ni chaleur. Et l’illustration du désir de la femme peine à s’exprimer. De cette démarche bienveillante ne reste qu’une timide entreprise dans laquelle l’orgasme ne serait qu’un accessoire de plus dans cette fresque féministe décorative. 

  • Mémoires d’un corps brûlant, un film de Antonella Sudasassi Furniss, avec Sol Carballo et Paulina Bernini, en salles le 20 novembre. 

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