Dans son deuxième roman, Forever young, Maruska Le Moing, comédienne et romancière, explore l’amour et la passion à travers deux couples. Dans cet entretien, l’autrice dévoile la genèse de ce roman et l’intertextualité avec le célèbre roman Aurélien de Louis Aragon.
Velimir Mladenović : Pouvez vous nous parler de vos débuts littéraires ?
Maruska le Moing : Si j’ai toujours beaucoup lu, je me suis mise assez tardivement à l’écriture. Étudiante, je nourrissais (et je nourris encore à vrai dire) une certaine méfiance à l’égard de l’écrit, qui peut être un merveilleux instrument pour émouvoir, transmettre des idées, des sensations, des images, mais également une facilité, une façon de se mettre en retrait de la vie et de vivre loin de l’action. La maîtrise du langage aussi, m’a longtemps semblé l’apanage d’une classe sociale dominante, une façon de briller manquant parfois de simplicité, un truc d’intellectuel en somme. Et puis, j’ai découvert une certaine littérature contemporaine, j’ai lu certains auteurs, certains romans, qui m’ont paru authentiques, simples, directs, chargés de beaucoup d’émotions, et cette littérature-là m’a donné envie d’écrire à mon tour. Je pense notamment à Gaetan Soucy, Herta Muller, Wajdi Mouawad, Agota Kristoff, Cormac Mac Carthy…
En parallèle de ça, je crois que mon travail de chanteuse et de comédienne m’a aussi fait développer un autre rapport aux mots, quelque chose de moins académique, de plus charnel, de presque sensitif. Écrire est pour moi un grand plaisir. Je suis très lente dans la rédaction, notamment car je prends le temps de goûter les mots que j’emploie, de modifier quatre fois la même phrase, de soupeser la valeur d’un adjectif, d’une virgule. Je n’ai jamais fait de modelage mais j’imagine le processus d’écriture de cette façon-là. J’aime avoir les mains pleines de la glaise des mots !
V.M : Dès le début, les lecteurs de votre roman Forever young se confrontent aux personnages ayant des noms très célèbres : Bérénice et Aurélien, comme dans le roman Aurélien d’Aragon. Pourquoi ce roman est-il si important pour vous ?
Mon Aurélien et ma Bérénice, comme ceux du roman d’Aragon, sont des jeunes gens pleins de promesses
M.L.M : Je trouve qu’Aurélien est un roman intéressant car il raconte l’histoire d’un amour raté. Une histoire de vie qui s’étiole, d’élan qui s’amoindrit, et c’est précisément ce que je voulais évoquer dans Forever young : comment garder le désir, la vivacité de la jeunesse et de la rencontre amoureuse alors que le temps passe et que tout nous enjoint à être adulte, responsable, sérieux ?
Mon Aurélien et ma Bérénice, comme ceux du roman d’Aragon, sont des jeunes gens pleins de promesses, vivant dans un cadre très privilégié et ayant tout ce qu’il faut pour rêver, espérer de la vie qu’elle soit grande et belle, pleine de panache. Pourtant ça n’est pas chose facile. En contrepoint de cette histoire, on rencontre Michel et Magda, qui tombent amoureux passé l’âge de la retraite, et qui eux, libérés de leurs obligations sociales, vivent une histoire d’amour plus légère en un sens.
V.M : Dans le roman, vous citez à plusieurs reprises les vers d’Aragon ? Pourquoi avez-vous choisi les vers de ce poète ?
M.L.M : Je suis tombée sous le charme du poème “C.” d’Aragon lorsque je l’ai entendu mis en musique par Poulenc. Plus que le souvenir de la guerre, cette mélodie évoque pour moi la nostalgie d’un temps passé, la désillusion du présent qu’on avait tant fantasmé, le deuil d’un idéal chevaleresque. Le personnage d’Aurélien dans Forever young est une sorte de « chevalier blessé » comme celui du poème, un jeune homme aspirant à une vie romanesque qu’il a du mal à incarner.
V.M : En quelque sorte, votre texte est un prolongement du texte d’Aragon. Les deux sont des textes qui traitent d’une génération assez spécifique. Chez Aragon, c’est une génération blessée par la guerre, et chez vous ?
M.L.M : Il y a chez Aurélien et Bérénice une exigence de réussite sociale qui finit par leur nuire. Leur vie urbaine, rapide, hyperconnectée me fait penser à ce qu’Hartmut Rosa dit sur l’accélération et l’aliénation de notre monde contemporain. Il nous faut être efficaces, rapides, disponibles, réactifs, et ce temps-là n’est ni celui de l’amour ni celui de la contemplation (que peuvent à l’inverse se permettre Michel et Magda qui sillonnent tranquillement les routes de Suisse). Je ne jette pas la pierre à mes personnages cependant, car je suis moi-même engloutie dans ce tourbillon. Il faut bien que jeunesse se passe… Et puis, il y a aussi la présence des réseaux sociaux qui s’invitent dans la relation d’Aurélien et Bérénice et qui ne font qu’accentuer l’exigence narcissique qui pèse sur eux. En un sens, mes octogénaires ont la tâche plus facile…
V.M : Votre roman raconte l’histoire de deux couples, Aurélien et Bérénice, bien sûr, mais aussi Michel et Magda. Pour leurs histoires d’amour avez-vous trouvé l’inspiration dans la vie réelle ?
Forever young est un roman très ancré dans le temps présent, dans une certaine réalité matérielle
M.L.M : Oui, pour le couple d’Aurélien et Bérénice comme pour celui de Michel et Magda, j’ai puisé mon inspiration dans la réalité : la mienne bien sûr, mais aussi celle de mon entourage, de mon environnement. Forever young est un roman très ancré dans le temps présent, dans une certaine réalité matérielle même. Toute la gageure était pour moi de faire naître le romanesque dans ce cadre très « quotidien ». Contrairement à mon premier roman, Forever young est un roman de nuances ; les personnages s’y frayent un chemin dans une réalité qui n’est ni tout noire ni toute blanche.
V.M : Votre premier roman Aimez-vous les uns les autres, pourrait-il être qualifié de roman d’amour ?
M.L.M : Tout à fait ! Mais cette fois dans un sens moins romantique et plus « christique » (d’où le clin d’œil du titre). La question sous-jacente à la relation mère-fille que je dépeins dans Aimez-vous les uns les autres est la suivante : comment aimer et pardonner, malgré tout ? Le chemin qu’emprunte le personnage principal n’est certes pas le plus consensuel, mais c’est tout de même un chemin d’amour.
V.M : L’amour ne connait pas de limites. Cependant dans votre roman Forever young l’amour et la complicité de ces deux couples diffèrent. Qu’avez-vous appris sur l’amour en rédigeant ce texte ?
M.L.M : Je ne suis pas certaine d’avoir appris quoi que ce soit pour être honnête… J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce texte, mais en fin de compte il ne s’agit « que » d’un roman, d’une fiction qui n’a pas valeur de vérité générale sur l’amour. Pour autant, Forever young reflète évidemment mes réflexions et mes interrogations. A mon sens, le sujet véritable du roman n’est pas tant l’amour que l’esprit de sérieux. Personnellement, je cherche encore une façon de vivre ma vie de façon entière et engagée, sans me prendre trop au sérieux, sans trop jouer à l’adulte. C’est précisément ce à quoi se confrontent les personnages du roman. C’est la raison pour laquelle j’ai mis en épigraphe cette phrase de Jacques Brel qui me parle tant, extraite de la Chanson des vieux amants : « Et finalement, finalement, il nous fallut bien du talent, pour être vieux sans être adulte ». Beau programme, n’est-ce pas ?
- Maruska le Moing est chanteuse lyrique et comédienne. Chez Gallimard elle a publié deux romans : Aimez-vous les uns les autres en 2022 et Forever young en 2024.
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