Maguy Marin : méthode pour dire l’urgence

Pour ouvrir leur nouvelle collection, sur La « Fabrique des œuvres », les Editions théâtrales donnent la parole à Maguy Marin qui revient, dans cette compilation d’entretiens et d’interventions orchestrée par Olivier Neveux, sur sa pratique, ses créations et son engagement. 

C’est un mélange de réflexions artistiques et politiques qui se mêlent dans ce court ouvrage publié en octobre dernier. Après une introduction à son contexte de publication, Olivier Neveux restitue quatre entretiens menés avec la chorégraphe et trois autres textes, qualifiés des « interventions » de l’artiste, qui viennent compléter le propos. Autour d’une certaine : « urgence d’agir »s’articulent des échanges qui prolongent une série d’entretiens réalisés pour la revue Théâtre/Public entre 2016 et 2017. 

Poser des mots sur ce que l’on crée

Ces conversations n’ont pas, selon Olivier Neveux, l’objectif de revenir sur : « ce qui a déjà été dit », notamment dans les entretiens publiés par la revue dont le chercheur est actuellement rédacteur en chef. Ils relèvent du prolongement, d’une forme d’approfondissement de l’étude de l’activité artistique de Maguy Marin depuis ses débuts. En effet, si son œuvre s’affirme rapidement comme indissociable de ses engagements, l’étude et l’interrogation de son geste apparaissent comme nécessaires à renouveler, à réinterroger. 

À travers le mélange de ces deux voix, Toucher au nerf s’affirme comme une référence en termes d’analyse de la méthode de Maguy Marin. Accompagnée des questions et des réflexions de l’historien du théâtre, elle sonde son travail, l’historicise, le met en perspective et le texte se fait un espace documentaire fourni et concert. Au-delà de la voix de l’artiste, on se retrouve notamment face à des outils de travail de l’artiste, et notamment un « tableau polyrythmique », «toujours premier » dans sa méthode et décrit comme un outil politique. On se retrouve également face à des souvenirs d’établissements scolaires fréquentés, d’œuvres côtoyées, face à des portraits d’artistes, ou encore à une liste exhaustive des pièces qu’elle a chorégraphiées.

C’est donc bien le travail dans tout ce qu’il recouvre qui est au cœur de ces échanges sans pour autant que ce qui est désigné comme méthode se fasse doctrine ou état des lieux achevé. Pour cela, Maguy Marin et Olivier Neveux cherchent à avancer, à questionner toujours plus avant, de remettre en question mais également de décrypter ce qui a été dit, selon la formule de Benjamin, citée en introduction. 

Depuis où l’on danse 

Dans une perspective d’exploration de la méthode artistique, il semble rapidement primordial à Maguy Marin de développer le point de vue depuis lequel elle crée, mais également depuis depuis lequel elle s’exprime. Le parcours artistique de la chorégraphe relève de la trajectoire. En témoignent à la fois le troisième entretien intitulé : « Ne pas croire »  et l’épilogue de l’ouvrage : Parcours. La course de la vie. C’est dans ce cheminement que naît la nécessité du politique et que se construit la conscience de l’effectivité de l’acte artistique. 

Elle passe également, elle l’indique, du statut d’interprète à celui de chorégraphe, ce qui change à la fois la perspective de son geste et lui permet de mettre en pratique des pratiques artistiques nouvelles

Maguy Marin est née à Toulouse en 1951. Si elle étudie d’abord la danse classique et que son activité première est une activité de danseuse, elle se tourne également rapidement vers une exploration de la pratique théâtrale, de la pratique de la danse contemporaine mais aussi et surtout, de la pratique collective. Elle passe également, elle l’indique, du statut d’interprète à celui de chorégraphe, ce qui change à la fois la perspective de son geste et lui permet de mettre en pratique des pratiques artistiques nouvelles marquées par ses pratiques collectives et ses convictions politiques. Si l’artiste déclare que dès son enfance elle a eu affaire à « un machisme délirant », c’est par la pratique de la danse, puis par son passage à l’organisation de ses propres pièces chorégraphiques qu’elle a réussi à mettre en place une réelle pratique féministe de son art.

Cependant, elle affirme, encore et toujours « je suis danseuse ». Parce que cela aussi, relève du politique. Elle explique à Olivier Neveux : « Si je le pouvais, je danserai tout le temps » et propose, dans un article paru dans Théâtre/public en mars 2022 et restitué à la fin de l’ouvrage, sa définition politique du métier de danseuse : « Danseuse, c’est, en 1960, une parade pour des filles issues des classes défavorisées qui ne réussissent pas bien à l’école ». Pour les milieux ouvriers, pour la petite bourgeoisie arriviste et pour la grande bourgeoisie arrivées et inculte « danseuse », ce n’est pas un métier mais une activité généralement pensée comme mal famée. 

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Rythme de la parole

Il est donc évident que l’œuvre de Maguy Marin ne saurait être dissociée de ses engagements, de l’histoire, de ce qui : « insiste et persiste », l’introduction d’Olivier Neveux et le premier entretien notamment, centré autour de la question du langage en sont témoins. Mais à la lecture de cet ouvrage et de la voix de l’artiste, nous en devenons également les témoins convaincus. 

La persistance de l’oralité restituée ici relève à la fois d’une rythmique particulière, chère à l’artiste, mais également d’une réelle mise en mouvement et en perspective. Rien n’apparaît ici comme achevé et définitif. Ce livre est un livre ouvert, un livre multiple dont le titre s’applique à la fois à la pratique que souhaite mettre en place Maguy Marin et aux mots qu’elle pose sur elle avec une justesse indéniable. 

  • Maguy Marin, Toucher au nerf, Conversation avec Olivier Neveu, Entretien publié aux Éditions théâtrales

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