Longlegs

Longlegs : le mal existe bien

Accompagnée d’une petite réputation d’estime outre-Atlantique, le dernier film d’Oz Perkins constitue une expérience d’alchimie intrigante : transmuter, par le biais d’une enquête policière, le réel et sa familiarité réconfortante en un monde de ténèbres où le diable règne en maître.

Longlegs

On croit voir un film de famille tourné sur pellicule. Sur l’écran apparaît une petite maison perdue à la campagne. Une fillette se prépare pour aller jouer dans la neige. C’est la première scène du film et très rapidement le malaise s’installe. Une voiture vient de se garer. Son conducteur est déjà tout proche… Inaugurale et cruciale pour le déroulé de l’intrigue, la scène d’ouverture témoigne en quelques plans du talent de Perkins pour installer une ambiance terrifiante qui bouscule la tranquillité apparente du quotidien.

Suppôts de Satan

Longlegs n’est que le vaisseau déséquilibré d’un mal plus profond qui contamine le réel et transforme de paisibles pères de famille en déments sanguinaires.

L’histoire de ce thriller horrifique n’a pourtant rien d’original : une jeune recrue du FBI disposant de talents de médium, Lee Harker (Maika Monroe), est chargée par son supérieur, l’agent Carter (Blair Underwood), de traquer un tueur en série insaisissable répondant au nom de « Longlegs » (Nicolas Cage). Ce dernier laisse des messages codés sur les lieux des crimes depuis des décennies sans qu’aucun d’entre eux ne soit déchiffré par l’agence de super enquêteurs. C’est sans compter sur Harker et le lien surnaturel qu’elle entretient avec le boogeyman local.

Certes, il y a un air de déjà-vu dans cette histoire de chasse à l’homme. Du Silence des Agneaux de Jonathan Demme à Zodiac et Manhunter de David Fincher, les références de Perkins sont explicites mais n’encombrent pas la voie singulière qu’il cherche à tracer. S’il ne parvient pas à la hauteur de ses illustres aînés, Perkins parvient néanmoins à créer une atmosphère poisseuse et angoissante, transformant cette petite ville reculée des Etats-Unis en capitale du Mal au sein de laquelle chaque maison pavillonnaire semble abriter un monstre, chaque grange un lieu de rituels maléfiques, chaque jardin une fosse de cadavres. 

Le film dépasse ainsi la confrontation personnelle avec le tueur en série pour figurer une menace plus pernicieuse : à mesure que Lee s’enfonce dans l’horreur c’est le principe même de réalité qui s’effrite. Le familier devient étrange et l’étrange familier. Longlegs n’est que le vaisseau déséquilibré d’un mal plus profond qui contamine le réel et transforme de paisibles pères de famille en déments sanguinaires. Ce sont tous les lieux rassurants et les personnes garantes des repères moraux qui sont ainsi perverties : la maison familiale, les parents, les enfants, la fête d’anniversaire.

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Le goût de l’occulte

Oz Perkins adopte une esthétique de l’horreur analogique, presque documentaire, en filmant les flashbacks, localisés dans les années 70, au format 4:3 à la manière des films en 16 mm de l’époque. Une forme vintage qui contraste efficacement avec celle de l’enquête, située dans les années 90, malgré une structure géométrique et ciselée qui vire parfois au maniérisme, mais dont la patine décolorée s’accorde bien au ton désespéré de l’histoire.

La dominance de couleurs froides dans un environnement d’automne brumeux accentue le sentiment de tristesse et de solitude de Lee. En évitant soigneusement les jump scare à répétition, le film accompagne, par un design sonore lancinant, la panique mentale de son héroïne à mesure qu’elle intensifie sa connexion psychique et émotionnelle avec le tueur. Par son jeu sobre et détaché, Maika Monroe apparaît ainsi comme une somnambule prise dans les rets d’un cauchemar où chaque nouvelle découverte macabre la ramène à une frayeur enfantine soigneusement enfouie dans les recoins de sa mémoire. 

A contrario, Nicolas Cage inscrit sa performance dans la lignée de ses rôles outranciers et un peu fatigants en surjouant un adorateur du diable psychotique à grands renforts de grimaces, hurlements et autres poses affectées. Si le charme tout maléfique de ses premières apparitions procure un trouble, c’est grâce à l’effet de suggestion qui déplace l’incarnation du tueur dans le domaine des songes, comme un avatar de Slender Man échappé d’Internet. Mais une fois le voile levé, difficile de se départir de l’image de l’acteur cabotinant derrière sa prothèse faciale. Un minimum de mystère sur les traits, la personnalité et les intentions du tueur aurait permis de créer un sentiment d’angoisse autrement plus inquiétant. 

En injectant du satanisme putride au cœur d’une intrigue criminelle, Perkins se fait le révélateur d’un monde en perdition, sans logique ni raison. Un monde peuplé de signe mystérieux et de formes démoniaques où des yeux inhumains à peine perceptibles derrière un voile noir nous persuadent d’une vérité simple : le mal existe, et il est partout.

Longlegs, un film de Oz Perkins, avec Maika Monroe, Nicolas Cage, Alicia Witt, Blair Underwood. En salles le 10 juillet 2024.


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