Antoine Zwicky : Conan le Barbare chez les démocrates

Avec L’Hydre jamais ne faiblit publié aux éditions La Giberne, Antoine Zwicky signe une plongée brutale et enragée dans un monde où la politique est un jeu de dupes et la violence une vérité incontournable. Suite directe de L’Hydre jamais ne meurt, ce roman hybride, entre péplum sanglant, satire féroce et fresque guerrière, suit Feu-Follet, mercenaire trahi, en guerre contre une démocratie qu’il exècre. Zwicky livre une critique au vitriol du pouvoir et des compromis.

L'Hydre jamais ne faiblit

Dès les premières pages, la narration nous happe avec une langue qui claque comme une estocade. Le style de Zwicky est baroque, exubérant, chargé d’invectives et d’humour noir. Railleries paillardes et verve militaire rappellent les chants de légionnaires et l’atmosphère des armées en campagne, où la brutalité est la norme et où l’honneur se mesure au fil de l’épée. La prose se gorge de métaphores organiques et de comparaisons crues où le politique est assimilé à une mascarade grotesque et les institutions à une maison close dégoulinante d’hypocrisie.

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Une charge contre la démocratie ? 

Le récit s’articule autour d’une critique d’un système démocratique à bout de souffle. Feu-Follet, narrateur étranger à ce monde de débats et de tractations, ne voit que compromission et lâcheté dans ce système de faux-semblants. À travers ses diatribes, le livre pose des questions dérangeantes sur la nature du pouvoir démocratique, le rôle du peuple et l’éventuelle nécessité de la force brute face à la mollesse bureaucratique. Mais cette immersion brutale ne se limite pas à la guerre. Feu-Follet décrit aussi la politique d’Estrie, pays normé et civilisé, avec une gouaille acerbe, n’hésitant pas à multiplier les métaphores sexuelles pour ridiculiser la servilité du peuple envers ses dirigeants. L’image des citoyens « se prosternant devant leur consul comme des prostituées trop zélées » est crue, dérangeante, mais surtout révélatrice du regard méprisant que porte Feu-Follet sur ce monde où tout se joue en messes basses et en alliances fragiles.

“À travers ses diatribes, le livre pose des questions dérangeantes sur la nature du pouvoir démocratique”

Zwicky propose ainsi une critique radicale de la démocratie, qu’il dépeint comme un théâtre d’ombres où les discours grandiloquents ne sont qu’un écran de fumée masquant les manipulations de l’élite. La République d’Estrie apparaît comme une parodie de régime représentatif, où le peuple est tantôt une marionnette agitée pour justifier des décisions déjà prises, tantôt une foule hystérique prête à acclamer n’importe quel tyran.

La présence de références historiques (bataille de Marengo, traversée du Rubicon, pillage du monastère de Lindisfarne) et philosophiques (Nietzsche, Hermann Hesse) enrichit un texte qui, sous ses airs de défouloir, propose une méditation sur la puissance, la transcendance et la chute des puissants.

On y retrouve des influences variées. La violence et l’exaltation de la force rappellent Robert E. Howard et son Conan le Barbare. L’univers détaillé, peuplé de différentes factions aux coutumes marquées, évoque la construction minutieuse de Tolkien.

Une opposition entre force brute et diplomatie

Si L’Hydre jamais ne faiblit est un roman d’action, il ne se limite pas à la seule exaltation de la violence. Au contraire, il est traversé par une réflexion sur le pouvoir et la décadence des sociétés civilisées. Feu-Follet, en bon rejeton de l’Hydre, une organisation militaire aux mœurs brutales, ne comprend pas la logique des assemblées, des débats, des compromis. Pour lui, le pouvoir ne se discute pas : il se prend, par la force si nécessaire.

Cette opposition se cristallise dans la trahison dont il est victime. Dès les premières pages, il est attaqué par une élite de combattants envoyée pour l’éliminer. Derrière cette tentative d’assassinat se cache un politicien ambitieux, qui s’est allié à Courtois, plus habile à jouer le jeu des alliances et des intrigues. 

Mais la vision de Zwicky est plus complexe qu’une simple apologie de la force brute. À travers les excès de Feu-Follet, il interroge aussi la brutalité des hommes de guerre et la nostalgie d’un âge d’or mythifié où la force primait sur la parole. Feu-Follet est-il un héros révolté ou un barbare dépassé par son époque ? La réponse oscille tout au long du roman, laissant au lecteur le soin de trancher.

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Une narration immersive

Cette citation résume bien l’ambiance du livre : « La douce mélodie des gradés qui hurlent sur les corps qui s’épuisent. Du bruit à l’oreille du bourgeois, de la poésie à celle du soldat ».

Ce qui frappe dès les premières pages de L’Hydre jamais ne faiblit, c’est la puissance de sa narration. Zwicky opte pour une virée totale dans l’esprit de son personnage principal, Feu-Follet, un colosse colérique et brutal, davantage taillé pour la bataille que pour les intrigues politiques. Ce procédé de flux de conscience où les pensées du protagoniste sont livrées sans filtre, dans un flot ininterrompu immerge immédiatement le lecteur dans l’action.

“Les phrases sont courtes, incisives, rythmées par des onomatopées qui amplifient l’effet de réalisme et transforment la lecture en expérience sensorielle.”

Les phrases sont courtes, incisives, rythmées par des onomatopées qui amplifient l’effet de réalisme et transforment la lecture en expérience sensorielle. On entend le fracas des épées, les hurlements des blessés, les os qui se brisent, les postillons des orateurs enflammés du forum politique. Cette écriture organique, presque viscérale, rappelle le travail de Mark Z. Danielewski (La Maison des feuilles), où la typographie et le rythme du texte s’adaptent aux émotions du personnage.

Dans un style rageur et un flux de conscience qui propulse le lecteur au cœur de l’action, Antoine Zwicky livre un récit furieux et incandescent, où la brutalité guerrière et la verve cynique se mêlent. C’est une œuvre excessive, provocatrice et traversée par un souffle épique qui rappelle les grandes fresques barbares tout en les détournant avec un humour ravageur. Voici un excellent manifeste contre la tiédeur.

  • L’Hydre jamais ne faiblit, éditions La Giberne, 2025.

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