Leys : « Je suis une meuf sentimentale et hardcore » 

Leys est une rappeuse moderne dans son rap comme dans l’image qu’elle s’est construite depuis ses débuts en 2018. La jeune artiste a déjà connu mille vies dans sa carrière, depuis les freestyles qu’elle posait dans sa chambre jusqu’aux plateaux de l’émission à succès Nouvelle École, sortie sur Netflix en juin 2022. À l’occasion de la sortie de son premier EP sobrement intitulé Leys, revenons avec elle sur son évolution tant musicale que personnelle. 

Zone Critique : Tu as sorti ce 8 mars, ton premier EP : déjà comment te sens-tu ? Et ensuite, comment as-tu fait pour parvenir à le sortir à cette date symbolique : était-ce un choix conscient ?

Leys : Mon EP Je suis devait sortir en février dernier, mais sa sortie a dû être repoussée en raison de différents aléas. C’est tout logiquement que sa date de sortie s’est imposée à la date du 8 mars, journée internationale des droits des femmes. C’était une manière de jouer avec ce symbole, et c’est ça qui nous a plu ! 

Z.C : À tes débuts, tu publiais beaucoup de freestyles et extraits sur Instagram : est-ce que ça te plaisait ? Ça te manque ce lien au public ?

Leys : Je parle tout le temps de « l’ERA » 2018 qui était celle des freestyles, j’étais dans une ère où je m’en foutais de tout et j’avais juste envie de balancer.  Cette époque de spontanéité pure me manque. Il n’y avait pas d’engagement, peu de responsabilités. Les freestyles, je les écrivais la veille et je les enregistrais le lendemain : c’était l’une de mes meilleures périodes en termes de productivité. 

En ce moment, j’essaie de retrouver ce rapport spontané à ma musique, notamment grâce à Tiktok. C’est plus compliqué sur Instagram car on est obligé de sortir des clips fréquemment. Je n’ai pas trop de temps pour communiquer sur autre chose que les releases vidéos, et c’est quelque chose que je regrette. 

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Z.C : Avant cette sortie, tu as sorti plusieurs singles notamment en utilisant Tiktok : comment vois-tu ce réseau ? 

Leys : À l’époque, j’utilisais également Twitter pour poster des vidéos. C’était un public différent, composé uniquement de gens qui ne me connaissaient pas du tout.    

Aujourd’hui, sur Tiktok, c’est un nouveau public qui est plus varié : il y a parfois des daronnes ou des enfants qui commentent. Je me prends moins la tête sur TikTok, je lâche tout et n’importe quoi ; jusqu’à parfois des vidéos en peignoir ! L’avantage de mettre les freestyles format vidéo, c’est que je sais d’avance si la vidéo va marcher, c’est facile d’anticiper un succès. En revanche, je me sers plus d’Instagram comme d’une vitrine professionnelle. 

Z.C : Impossible de ne pas se souvenir de ta participation à Nouvelle École où tu avais été jusqu’au dernier stade. Qu’en retiens-tu ? 

Leys : Il faut savoir que j’étais assez fragile à l’époque de Nouvelle École. Avant cette émission, j’étais déjà « en vrac » mais c’était moi qui contrôlais mon image, avait la capacité de m’enregistrer et de choisir ce que je diffuserais ou non.

Dans Nouvelle École, c’est comme si j’avais donné mon image à des gens qui allaient en faire ce qu’ils voulaient. Il a été plus ou moins été consciemment décidé de créer de nombreuses scènes jugées « plus touchantes » pour le public ou d’accentuer ma sensibilité. J’ai un côté assez drama queen, bien sûr que je ne renie pas ces moments de vulnérabilité, et que si j’ai envie de pleurer je pleure, mais d’une certaine manière ces moments étaient parfois faussés. Dans les coulisses je voyais des candidats qui pleuraient – et notamment des mecs. J’ai même vu certains gars faire des crises d’angoisse, mais ces moments étaient parfois coupés postprod.  Cette émission c’était un truc de fou. Moi je ne jouais pas, j’étais comme dans la vie de tous les jours.

Z.C : Qu’est-ce que cela a changé pour toi ?

Leys : Nouvelle École c’est l’aventure d’une vie. Avec du recul, je suis contente et fière d’y avoir participé, surtout qu’en tant que candidate on y participe sans vraiment savoir ce que ça va donner. 

Ça m’a permis d’en apprendre plus sur ma personne, c’est comme si je sortais de mon corps pour voir mes défauts et qualités, j’ai pu parfois me remettre en question aussi.  

Moi qui ne me voyais pas aller jusqu’au bout, et qui pensais tout le temps à partir, je me suis prise au jeu et j’ai parfois eu des revers : arrivée au dernier stade, je pensais gagner et j’ai fini par perdre. Ça a été une véritable leçon de vie. Être au bord de la victoire ne veut pas forcément dire gagner, mais ça ne doit pas te faire arrêter ce que tu fais.

Certaines rappeuses kickent mieux que certains mecs

Z.C : Tu as dit, à propos du rap féminin et de ses représentantes, qu’elles oscillaient entre deux tendances  : « être soit hardcore soit sentimentale ». Le penses-tu toujours ? Comment as-tu dépassé ces deux stéréotypes de ton côté ?

Leys : Moi je suis une meuf sentimentale et une meuf hardcore. On essaye de lier la femme à l’une ou à l’autre de ces catégories alors qu’une femme est un tout. Une personne ne peut pas juste être émotive.  

Dans mon EP, j’essaye justement de montrer toute mon identité : il y a des sons hyper doux et d’autres assez kickés. En tant qu’artiste, on est un tout, même si parfois, il est plus facile de se cacher derrière des façons d’être, de se créer une armure.  Les artistes qui ont le plus réussi sont ceux qui étaient eux-mêmes. 

Z.C : Parlons maintenant de l’EP LEYS :  tu as choisi de faire un clip impressionnant pour « CONCU » avec de très belles images et décors. Est-ce que tu aimes la mise en image de ta musique et de ton personnage ? 

Leys : Pour faire ce clip, il a fallu mettre des moyens importants et être soutenu par une équipe de tournage assez professionnelle. J’ai toujours aimé me mettre en scène. J’ai évolué dans la représentation de mon personnage. Depuis la sortie de « Si c’était le premier », j’ai décidé de m’assumer dans mon style musical. Mon dernier clip « Je suis » est celui qui me représente le plus au naturel. J’y incarne différents personnages qui me ressemblent plus ou moins.

Z.C : Dans ton EP, on retrouve une cohérence entre les sons : ils suivent les jours de la semaine. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ? 

Leys : J’ai entamé une réflexion sur les sons liés au jour de la semaine. Mais il n’était plus possible de changer la tracklist. Ça faisait longtemps qu’on voulait faire un EP et sortir un projet – moins travaillé qu’un album –, mais on avait eu envie de faire ce concept et créer une cohérence. 

Avec mon producteur, on a eu l’idée de créer un univers qui mêle à la fois la vie et le réel : le but était de suivre un être humain sur une semaine, ses pensées qui se suivent parfois de manière décousue. Dans le morceau « Lundi », je raconte mes rêves et la réalité, en faisant un mélange nuancé, sans trop en dévoiler. Au fil du temps, je parle de mon copain qui m’a trompée, qui m’a fait du mal et de ma famille aussi. Dans le dernier son, « Je suis plus là », j’annonce à mon ex que je suis passée à autre chose. Je voulais explorer un univers familier et montrer aussi une forme d’évolution aussi bien temporelle qu’affective. 

J’avais déjà mis en avant des femmes qui m’inspirent en écrivant leur nom sur mon jogging

Z.C : Enfin, tu as sorti un cypher avec de nombreux artistes comme LMK, La Valentina, Soso et Ash To The Eye, que penses-tu des initiatives en faveur des femmes ?  

Leys : Parfois, j’ai l’impression qu’on veut trop rassembler des femmes et forcer la collaboration. Certaines de ces initiatives nous desservent. Je n’ai pas été dans ce « truc », mais ça ne veut pas dire que je ne soutiens pas les femmes, au contraire.  Je parle pour elles dans mes sons. 

Je crois qu’il ne faut pas forcer les connexions. Pour ce cypher, j’avais vraiment envie de faire quelque chose entre meufs. J’avais déjà mis en avant des femmes qui m’inspirent en écrivant leur nom sur mon jogging. Je trouvais ça important de rendre hommage et montrer qu’elles font avancer le mouvement, chacune à leur manière. Je voulais leur dire : « merci de ne pas lâcher ». Je trouve qu’on n’a pas besoin d’être à un niveau de fou pour donner de la force aux gens qui te ressemblent. Certaines rappeuses kickent mieux que certains mecs.

  • Son EP LEYS est sorti le 8 mars dernier et est disponible sur toutes les plateformes musicales. 
  • Crédit photo : © Fasmer

Pour retrouver l’intégralité du dossier :

https://zone-critique.com/critiques/le-rap-est-il-lavenir-de-la-poesie/


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