Premier long-métrage attendu du cinéaste Alexis Langlois, Les Reines du drame fait du neuf avec du vieux. Le mélodrame hollywoodien fusionne avec internet et ses questionnements du XXIᵉ siècle. Genre, sexualité, hyperpop, fanatisme… La liste est longue.
Les Reines du drame amorce peut-être la deuxième vague de ce nouveau cinéma queer, ultra-référencé et pourtant flagrant de nouveauté. Ce mouvement, dont on pourrait grossièrement dater l’apogée à 2018 avec la sortie coup sur coup du premier long-métrage de Bertrand Mandico (Les Garçons sauvages) et du second de Yann Gonzalez (Un Couteau dans le cœur), est aussi réjouissant car il y a un moment déjà que le cinéma français n’avait pas réussi à rejouer un cinéma du passé en le modernisant, voire en le post-modernisant. L’influence manifeste de Kenneth Anger sur tous ces cinéastes (on pourrait y ajouter le duo Poggi et Vinel qui vient de briller avec Eat The Night) se reflète aussi bien dans l’extravagance queer de ces films et des thèmes qui y sont abordés, que sur la reconnaissance du court et moyen métrage comme œuvre à part entière. Et c’est de cette manière qu’Alexis Langlois s’est d’abord forgé une certaine réputation avant de réaliser Les Reines du drame. À nouveau, comme chez Mandico (dont il semble esthétiquement parlant être le plus proche), Langlois réunit un flamboyant cinéma hollywoodien et un tout aussi éclatant cinéma plus moderne et provocateur. Devant le film, on pense énormément à Eve de Mankiewicz ou à A Star is Born de Cukor, mais aussi à Querelle de Fassbinder et The Doom Generation de Gregg Araki. Et comme chez Mandico, ce déferlement de références ne vient jamais troubler l’identité très singulière du long-métrage, et ce car Langlois, même dans ses décors carton-pâte et sa lumière artificielle, ne se détache jamais vraiment du réel et des images qui le compose. Il convoque tout l’héritage clipesque de la pop des années 2000 et de l’hyper pop des années 2010. Lorsque l’écran s’illumine pour la première fois dans un tourbillon de couleur criardes, d’effets After Effect, et qu’apparaît le visage botoxé de Steevyshady, le légendaire youtubeur qui s’apprête à nous raconter la romance fiévreuse entre l’étoile Mimi Madamour et le punk Billie Kohler, c’est le mélodrame hollywoodien qui se voit réaffirmé, distordu et remodernisé. Quand Bradley Cooper s’emploie Outre-Atlantique avec son propre A Star Is Born à refaire le même mélodrame remaké pour la énième fois avec les mêmes codes, Alexis Langlois parvient au contraire à réactualiser le genre sans jamais tomber dans l’hommage ou la nostalgie. Ironie du sort quand on voit Lady Gaga, icône trash et pop du début des années 2010, contrainte de chanter d’ennuyeuses balades pour plaire à un public passéiste, quand Mimi et Billie affirment leur amour à coup de pop-électro-punk salace. Passion torride, rupture hystérique, combats d’ego, tous les codes des plus grands dramas musicaux des années 2000 sont rappelés, avec comme inspiration première le destin tragique de Britney Spears dont Langlois va jusqu’à rejouer la crise identitaire. Comme son modèle, Mimi se drogue, se rase le crâne et finit par être arrêtée par la police.
C’est en se détournant d’un réalisme matériel que peuvent éclore les sentiments les plus purs ; d’où ce retour à la musique, à la simplicité candide des paroles et des mélodies.
Hit Me Where It Hurts
La beauté simple et renversante des Reines du drame, c’est que derrière ses torrents de références, le réalisateur garde sa ligne directrice et nous raconte une déchirante romance. Et il faut de ce fait saluer le talent de ses deux jeunes acteur/ices, Gio Ventura et Louiza Aura, qui se livrent corps et âmes à leurs performances dans de véritables rôles de composition (le film s’étend sur plusieurs années). Langlois parvient à cerner leurs regards, leurs différences corporelles et à bâtir des décors qui les personnifient : un club underground pour Billie, une chambre d’ado éclatante pour Mimi, ou bien une simple ruelle pour leur séparation. L’avantage de ce tournage en studio, c’est de faire ainsi mouvoir ces décors, briser la séparation entre la scène et le backstage, quand derrière chaque porte semble pouvoir se cacher une multitude de mondes. Une idée simple comme le cinéma se rejoue et s’avère toujours aussi efficace : c’est en se détournant d’un réalisme matériel que peuvent éclore les sentiments les plus purs ; d’où ce retour à la musique, à la simplicité candide des paroles et des mélodies. À la manière de l’hyperpop (même si les chansons n’en sont pas vraiment) qui s’amuse allègrement à hybrider tous les genres, ici les sonorités punk ou électro sont intégrées à une pop universelle dans laquelle le désir comme la douleur se crient avec la même intensité. C’est parfois frustrant que les compositions ne s’autorisent pas un peu plus d’expérimentations, quand l’image semble au contraire épuiser tous les codes d’internet, mais il n’empêche qu’il s’en dégage une fascination si sincère pour les deux muses du réalisateur que l’ensemble ne peut qu’être jubilatoire. Derrière cet étrange post-post modernisme que propose Langlois, Les Reines du drame est avant tout un film sur les grandes figures « has been » de la pop culture. Comme toutes ces œuvres qui regardent avec tendresse les corps abîmés par la vie d’actrices rejetées par l’industrie (Bette Davis il y a soixante ans, Demi Moore le mois passé), Langlois fait muter ses personnages, il leur fait traverser les âges, les styles et les genres, bien convaincu que les stars d’aujourd’hui deviendront les rebus de demain. En décidant de vieillir Louiza et Gio dès leur plus jeune âge, c’est comme si Alexis Langlois les immunisait contre ce fléau.
https://zone-critique.com/critiques/eat-the-night
- Les Reines du drame, réalisé par Alexis Langlois, avec Louiza Aura, Gio Ventura, Bilal Hassani, Alma Jodorowsky… En salles le 27 novembre.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.