Les Olympiades de Jacques Audiard : que reste-t-il du réel ? 

De la dernière saison d’Emily in Paris au cinéma de Jacques Audiard, du Paris Musée du XXIè siècle de Thomas Clerc à L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine, les représentations de la ville de Paris se renouvellent. Alors, comment écrit-on, comment filme-t-on Paris aujourd’hui ?

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Dans Les Olympiades, portrait intimiste d’un Paris fantasmé, Jacques Audiard s’impose comme un cinéaste à la recherche d’une esthétique idéalisée. À travers les trajectoires croisées de trois personnages en quête de sens, le réalisateur explore un 13e arrondissement à la fois réel et abstrait, où les relations humaines se dessinent sur fond de désirs, de solitude, et d’une ville qui échappe à ses propres couleurs. Entre fascination et déconnexion, le film nous questionne sur ce qui se perd dans la sublimation du quotidien.

Emilia Perez, le dernier film de Jacques Audiard, bien que acclamé, a suscité des débats enflammés. La critique Gaby Meza reproche notamment au film « d’exploiter, à des fins de divertissement, la tragédie que vit le Mexique avec le trafic de drogue et les disparitions dans ce contexte de violence ». Par ailleurs, la communauté mexicaine souligne l’absence, aussi bien dans le casting que dans l’équipe technique, de personnes directement concernées par ces problématiques. Ajoutons à cela que Audiard a déclaré dans une interview : « Je n’ai pas étudié [le Mexique] tant que ça. Ce que j’avais à comprendre, je le savais déjà un peu. » Une telle affirmation ne peut qu’amplifier leur indignation. La récupération de l’imagerie mexicaine – des narcotrafiquants et des tragédies humaines qu’ils engendrent – sans une réflexion sur leur impact auprès des communautés endeuillées, et venant d’un réalisateur étranger au pays, à sa culture, à son histoire et à ses luttes sociales, soulève une problématique évidente. Ce décalage entre une esthétique léchée et une réalité complexe interroge. Audiard n’avait-il pas déjà amorcé, dans Les Olympiades (2021), une forme d’idéalisation subtile mais palpable de la ville de Paris ? Ce que l’on pourrait qualifier de « déjà-là idéaliste » : une tendance récurrente dans son cinéma à magnifier les lieux et les relations humaines, qui finit par détacher légèrement ses œuvres de leur ancrage dans le réel.

Le film entre dans le quartier éponyme du 13ᵉ arrondissement de Paris pour y proposer une plongée  dans l’intimité de trois jeunes adultes. Émilie (Lucie Zhang) travaille dans un call center après des  études à Sciences Po. Camille (Makita Samba), jeune professeur, prépare l’agrégation de lettres  modernes. Puis Nora (Noémie Merlant) est une Bordelaise qui reprend ses  études à Tolbiac-La Sorbonne à 33 ans. Loin de s’attarder sur les spécificités du lieu, Audiard semble  davantage préoccupé par les trajectoires affectives et existentielles de ses personnages. Cette  approche soulève une question fondamentale : qu’est-ce que le Paris des Olympiades ? Qui sont les  gens du Paris des Olympiades ? 

Loin de s’attarder sur les spécificités du lieu, Audiard semble  davantage préoccupé par les trajectoires affectives et existentielles de ses personnages. Cette  approche soulève une question fondamentale : qu’est-ce que le Paris des Olympiades ? Qui sont les  gens du Paris des Olympiades ?

Le film s’ouvre sur une séquence prometteuse ancrée dans les lieux. Depuis les hauteurs des tours du  13ᵉ arrondissement, la caméra explore un Paris dichotomique, organisé autour de son passé historique (le Sacré Cœur, visible à l’horizon) et de sa modernité (le Palais de Justice). Les panoramiques et les plans de drone tracent un portrait composite de la capitale, oscillant entre béton et ciel. Redescendant de plus en plus  vers le sol, la caméra finit par atteindre le call center d’Émilie. Cette incursion dans l’espace urbain ne  dure que 4 minutes et 39 secondes. À partir de là, le film semble se replier sur des intérieurs — appartements exigus, agence immobilière — qui deviennent les véritables lieux d’action. 

L’appartement d’Émilie, notamment, occupe une place importante au début du récit. Audiard y  concentre une bonne partie de la narration, reléguant le quartier des Olympiades au simple rôle de  toile de fond, voire d’espace à traverser entre deux lieux. Cette mise en retrait laisse  une impression curieuse : pourquoi titrer le film d’après un espace qu’il explore si peu ? 

Dans une interview de 2021, Audiard confiait : « Dans le 13ᵉ, on n’est pas à Paris. On est à Paris et plus à Paris. » Cette ambivalence se ressent dans le film. Le quartier, marqué par une forte  diversité culturelle et une architecture moderniste, aurait pu être un personnage à part entière. Or, il  devient interchangeable, vidé de ses spécificités. Les Olympiades sont là, mais à peine esquissées. Il  ajoute : « Ça commence sur une jeune Chinoise, elle est ici et ailleurs. » Nous sommes donc d’accord. 

Émilie, d’origine chinoise, incarne une jeunesse tiraillée entre modernité et  héritage familial. Camille, lui c’est la permanente évolution : il alterne entre changement de maison, comme emploi. Nora, en quittant Bordeaux et en reprenant ses  études, cherche à redéfinir son identité, à la fois sexuelle, mais aussi sa place précise dans ce monde. Leurs interactions tissent une toile complexe de relations humaines : amitiés, amours éphémères,  désirs non réciproques. Mais ce microcosme intime ne suffit pas à ancrer l’histoire dans un Paris  tangible. Le récit semble flotter, comme déconnecté de l’espace qu’il prétend habiter. Audiard s’appuie sur des idées parfois abstraites, notamment autour d’une certaine jeunesse, sans vraiment les expliciter. Il excelle à capturer l’errance et l’isolement de ses personnages, mais il laisse ces états suspendus, sans véritable tentative d’en explorer les causes ou les implications. Cette absence de profondeur fait écho à Julie (en 12 chapitres), un film qui, lui aussi, peinait à dépasser la surface des sentiments qu’il prétendait explorer.

Cette même légèreté dans l’approche se retrouve dans le traitement du développement social des personnages, qui, tout en restant dans la superficialité, maintient le spectateur à distance et l’empêche de s’investir pleinement. Audiard est moins préoccupé  par leurs trajectoires personnelles ou leurs ancrages socio-économiques que par leur rapport aux  relations sexuelles et à l’amour. Parmi nos trois protagonistes, seule Nora se distingue par une  trajectoire sociale légèrement plus étoffée, ce qui la rend de fait plus émouvante avec en plus le talent indéniable qu’apporte Noémie Merlant au personnage. On perçoit rapidement son décalage avec les jeunes de la fac, et l’on découvre également qu’elle a entretenu une liaison complexe  et taboue avec un membre de sa famille pendant près d’une décennie. 

Émilie, quant à elle, reste un personnage ambivalent. Issue d’un milieu relativement aisé — une grand-mère propriétaire d’un appartement parisien, des études en sciences politiques, une sœur médecin et  une mère vivant probablement à Londres. Camille, de son côté, appartient à une classe moyenne  intellectuelle : professeur en poste, mais encore en préparation de son agrégation, il incarne un  personnage doté d’un certain capital culturel, mais souvent présenté comme impulsif et désinvolte. 

Ces trois personnages donnent l’impression de naviguer dans une bulle déconnectée des réalités socio-économiques. Camille déménage sur un coup de tête, sans se soucier de savoir où il logera ensuite.  Émilie, quant à elle, enchaîne des emplois décalés par rapport à ses études sans que ses choix soient réellement interrogés par le récit. Cette absence de réflexion sociale transparaît également dans la mise en scène, qui semble ignorer les implications de l’espace urbain et des dynamiques humaines qui le structurent. Les choix de cadre et d’espace illustrent ce décalage : tout est filmé à hauteur des personnages, sans horizon ni profondeur. L’environnement paraît réduit à une toile de fond, dépourvu de substance. Audiard semble adopter une esthétique proche du huis clos, où l’espace, pourtant crucial, reste étrangement absent.

L’environnement paraît réduit à une toile de fond, dépourvu de substance. Audiard semble adopter une esthétique proche du huis clos, où l’espace, pourtant crucial, reste étrangement absent.

Il y a, tout au long du film, une impression de déni — celui des personnages, mais aussi, évidemment,  celui du réalisateur. Ce dernier n’interroge ni son espace, ni les gens qui le composent, ni, par extension,  les dynamiques entre les individus et leur environnement. Audiard, en évitant de confronter ses  personnages à leur environnement ou aux réalités économiques et sociales qui les entourent, renforce  cette impression de déni. Ses personnages, tout comme lui, évoluent dans une bulle idéalisée,  déconnectée du Paris réel. Les résolutions de leurs problèmes arrivent presque par magie. Tout se  règle en tombant amoureux et en finissant en couple… Une conclusion un peu niaise et survolée. 

Que reste-t-il du réel ? 

Notre derniere critique  vise l’intention esthétique du réalisateur et notamment son choix du noir et blanc. Cette esthétique propose au spectateur une vision très graphique, sublimant  les visages, les corps et les textures, notamment dans les scènes de sexe. Pourtant, cette sublimation  soulève une question essentielle : que reste-t-il du réel ? En gommant les couleurs, Audiard gomme également une part des aspérités et de la richesse qui font l’identité des Olympiades. Ce quartier  parisien, vibrant et multiculturel, devient avec cette stylisation un espace aseptisé, presque abstrait. La diversité visuelle et sensorielle du lieu, ses contrastes et ses détails, se perd dans ce traitement  monochrome. Les affiches criardes, les néons vibrants, les tonalités chaudes ou éclatantes, qui  pourraient incarner l’effervescence d’un tel quartier, sont effacés, laissant place à une vision uniforme,  presque décontextualisée. 

En gommant les couleurs, Audiard gomme également une part des aspérités et de la richesse qui font l’identité des Olympiades. Ce quartier  parisien, vibrant et multiculturel, devient avec cette stylisation un espace aseptisé, presque abstrait.

Le noir et blanc, bien qu’il sublime les teints de peau et les imperfections des visages, rend les arrière plans ternes et interchangeables. Ce choix esthétique pourrait même constituer le point central  démontrant l’idéalisation latente dans ce film. 

Toutes ces approches trouvent un écho dans Emilia Perez. Dans les deux films, Audiard semble  privilégier une imagerie idéalisée au détriment d’une analyse en profondeur. Dans Les Olympiades,  cela se traduit par une absence d’attachement au lieu. Dans Emilia Perez, par une simplification des  problématiques mexicaines. Dans les deux cas, Audiard semble fasciné par l’idée d’un ailleurs fantasmé. Paris, tout comme le Mexique, devient un décor pour des récits universels, mais désincarnés. 

Finalement, Les Olympiades est moins un portrait de Paris qu’une exploration des trajectoires  humaines qui s’y croisent (et encore, on aurait des réserves à ce sujet). Audiard capture une idée de  Paris — cosmopolite, mouvant, insaisissable — mais échoue à lui donner un poids réel. Ce Paris sublimé,  presque éthéré, reflète peut-être une tension plus profonde dans le cinéma d’Audiard : celle entre  l’idéal et le réel, entre le regard du cinéaste et le monde qu’il tente de saisir. Ces deux films semblent  davantage se tourner vers des réflexions idéalistes, ou du moins vers un socle de réflexion  philosophique propre à Audiard. Il n’est donc que très peu étonnant qu’il trouve autant d’écho aux  États-Unis.

Luca Moreira


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