S.A Cosby, Le Sang des Innocents : thriller au cœur de l’Amérique profonde 

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Le Sang des Innocents, le troisième roman de S.A. Cosby, s’impose comme une œuvre enrichissant le paysage du roman policier contemporain. Publié aux éditions Sonatine, ce livre poursuit l’exploration des thèmes qui ont valu à Cosby une reconnaissance internationale, notamment celle d’être lauréat du prix Barry 2021 du meilleur roman et d’être classé dans le top 100 du New York Times pour son roman Blacktop Wasteland

L’intrigue se déroule dans la petite ville de Charon, en Virginie, où Titus Crown, ancien agent du FBI, revient pour prendre soin de son père. Son élection en tant que premier shérif noir de la ville symbolise une évolution sociale, mais aussi une situation qui exacerbe les tensions raciales et communautaires.

L’attaque tragique au lycée Jefferson Davis et l’enquête qui s’ensuit exposent les strates de secrets et de préjugés enfouis au sein de la communauté. Titus, bien que déterminé à faire la lumière sur les événements, se heurte à des attentes contradictoires de la part des différentes factions de la ville, tout en naviguant dans un milieu où la couleur de peau est un facteur déterminant. Cosby réussit dans ce roman à capturer l’âme sudiste, pleine de tensions et de mystères.

Du polar au roman gothique, dans les ténèbres de l’âme sudiste

Le Sang des innocents, se déploie dans un espace où les frontières entre le polar et le roman gothique sont poreuses. L’enquête menée par Titus Crown, shérif noir dans un Sud rongé par son histoire, n’est qu’un prétexte pour une exploration plus vaste des âmes tourmentées qui peuplent cette terre marquée par des siècles de violence. Il ne s’agit pas simplement de résoudre un crime, mais d’affronter des ombres bien plus anciennes, celles qui hantent encore les paysages et les consciences.

« Le Sud ne change pas. On a beau essayer d’oublier le passé, il finit toujours par se rappeler à nous de la pire des manières […] Seuls les noms, les dates et les visages changent – et encore, pas nécessairement. Parfois, quand on ferme les yeux, ce sont les mêmes visages qui apparaissent. Les mêmes visages qui vous attendent dans l’obscurité. »

Le comté de Charon est plus qu’un simple décor. Il respire sous la surface, lourd du poids de son propre passé. Renvoyant aux ombres et aux âmes des morts dans la mythologie grecque, il est ce miroir tendu où le lecteur et les personnages voient, avec une douleur silencieuse, la perpétuation des injustices, des souffrances. C’est un espace gothique au sens profond, où le surnaturel n’est jamais loin. Non pas dans les fantômes au sens propre, mais dans les résurgences du passé qui refuse de s’éteindre car, à Charon, les lieux ont une mémoire. Cosby tisse une atmosphère d’une densité presque tangible, où tout respire la culpabilité collective, et où chaque personnage devient le vecteur d’une histoire plus vaste, celle de la terre sur laquelle il marche.

« Personne n’avait cueilli de fleurs pour les enfants enterrés sous le saule pleureur. Personne n’avait apporté de jolie couronne pour marquer l’emplacement de leur dernière demeure. Non. Ils n’avaient eu droit qu’au baiser glacial de la terre et à l’étreinte étouffante des racines qui enserraient leurs petits corps chétifs dans l’obscurité. »

La violence enracinée : un héritage impossible à fuir

Tragique réalité, la violence est ici le sol sur lequel naissent et s’établissent les générations. Elle est omniprésente, comme une plaie qui refuse de cicatriser, un fantôme qui revient toujours hanter ceux qui pensaient l’avoir oubliée. Cette violence n’est pas seulement physique ; elle est morale, historique, symbolique. Elle ne se contente pas de meurtrir les corps, elle contamine les âmes. Le personnage de Titus Crown, homme noir dans une position de pouvoir au cœur d’une région encore profondément marquée par le racisme, cristallise cette tension. Il incarne cette contradiction : agent de l’ordre dans un territoire fondé sur l’injustice. 

« Ce qui perturbait surtout Ricky et ses semblables, c’était que des gens – des Noirs, principalement – aient l’audace de remettre en question le mythe d’un Sud chevaleresque et mû par le sens de l’honneur qu’on leur avait inculqué depuis leur enfance, comme à leurs parents et leurs grands-parents avant eux. »

Alors que le propos principal du roman est de dénoncer la violence et les injustices qui imprègnent le Sud des Etats-Unis – au même titre que de nombreuses autres régions – une certaine prévisibilité dans le traitement de ce thème peuvent ennuyer le lecteur. Les figures du raciste sudiste, du suprémaciste blanc, bien qu’essentielles à l’intrigue, manquent parfois de profondeur. Elles restent des archétypes, des symboles figés d’un Sud immuable. On ressent à la lecture une volonté de dénoncer le mal qui peine à comprendre ses racines profondes et ses failles alors que celles-ci permettraient d’ouvrir le roman sur une réflexion plus nuancée, moins didactique, peut-être plus réaliste.

Les figures du raciste sudiste, du suprémaciste blanc, bien qu’essentielles à l’intrigue, manquent parfois de profondeur. Elles restent des archétypes, des symboles figés d’un Sud immuable

Une œuvre de contrastes : le fragile équilibre entre humanité et barbarie

Le Sang des innocents est une œuvre profondément marquée par le contraste. Tout, dans ce roman, semble jouer sur l’opposition entre la lumière et les ténèbres, entre l’espoir d’un monde meilleur et la résignation face à l’implacabilité du passé. Titus Crown lui-même est une figure de dualité, écartelé entre son rôle de garant de la loi et son identité de fils du Sud, héritier malgré lui d’une histoire qu’il voudrait réécrire.

Cosby dépeint avec acuité les paysages du Sud, lieux empreints de beauté, tout en dévoilant les abîmes de violence qui s’y cachent. Le calme apparent des rivières et des champs contraste violemment avec les actes de barbarie qui se sont déroulés sur ces terres, dépeignant le sentiment que le mal n’est jamais loin, qu’il surgit à l’instant même où l’on croit être en sécurité.

« Le ciel gris donnait au paysage un aspect délavé et, en suivant les petites routes qui menaient à la nationale, Titus eut l’impression de regarder une copie non restaurée d’un vieux film muet. Il songea que cela correspondait bien à l’état d’esprit actuel de Charon, à présent qu’un meurtrier avait décidé d’en faire son terrain de chasse. »

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On regrette hélas que cette exploration du contraste devient parfois répétitive, trop soulignée. La dualité entre Titus, figure héroïque, et ses antagonistes, semble parfois trop simple. On aurait aimé voir, derrière le masque du criminel une faille qui aurait permis d’explorer les causes, et non seulement les conséquences.

Si le roman propose une réflexion profonde sur la violence comme héritage, sur la difficulté de s’extraire d’un destin tracé par des générations de haine, il ne manque pas de laisser le lecteur sur une note dubitative. Est-il possible de briser le cycle ? Peut-on espérer une rédemption dans un monde où les fondations mêmes sont bâties sur le sang et les larmes ? Ces questions restent en suspens, et nous font regretter que le récit les rende irrésolvables.

  • Le Sang des Innocents, S.A Cosby, Sonatine, 2024

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