LaRoy

LaRoy : la ville abandonnée 

Motel, shérif, accords country. Avec son premier film, Shane Atkinson nous plante au cœur d’une Amérique aux couleurs de carte postale. Mais sous ses airs tranquilles, la petite ville de LaRoy cache un scénario en cascades, où un tueur à gage et des bras cassés se lancent à la poursuite d’une mallette pleine de billets. 

LaRoy

Sa femme le trompe. Le présentoir n’est pas à sa place. Ray avait demandé à ce qu’on le mette près des caisses — pourquoi est-il au fond du magasin ? Le présentoir n’est pas à sa place et son frère vient de lui refuser une augmentation. Sans cet argent, Stacy-Lynn ne pourra pas ouvrir son salon de beauté, elle ne sera pas heureuse, et elle le trouvera minable et elle ne l’aimera plus. Et puis il y a ce détective qui est allé prendre des photos de sa femme sortant du motel sans que personne lui ait demandé… C’en est assez pour Ray. Après avoir acheté le plus petit pistolet possible, il veut en finir. Mais le choix du parking d’un motel se révèle peu judicieux : à peine a-t-il le temps de fermer les yeux qu’une porte s’ouvre et qu’une liasse de billets atterrit sur sa cuisse.  Commence alors le quiproquo au cœur de LaRoy : confondu avec un tueur à gages, Ray accepte la mission, voyant là le moyen d’obtenir l’argent pour récupérer sa femme et son estime de soi. Une décision qui, bien évidemment, ne sera pas sans conséquence. 

LaRoy mêle avec finesse comédie et noirceur : son monde est certes sans pitié, mais ses personnages sont suffisamment crédules pour susciter la compassion. 

Cowboy de supermarché

LaRoy s’étale dans les vastes solitudes américaines. Shane Atkinson transpose le western au cœur de la banalité d’une petite ville texane : bar-saloon, strip club, parkings à néon, les topoï se multiplient. On y croisera les patrons d’une concession automobile, quelques policiers, une strip-teaseuse ou encore Skip, détective amateur habillé comme une caricature ambulante. Et, bien sûr, le vrai tueur à gages venu récupérer l’argent qui lui appartient. Sans crainte, le réalisateur reprend à son compte de nombreux clichés et dresse un paysage familier. Mais au cœur de cette toile Ray, cowboy désigné, n’a pas l’envergure du rôle. Rechignant et plaintif, il n’est sorti du passéisme que par l’insistance de Skip, désespérément en quête d’une affaire à résoudre. Tous les deux plus ou moins incompétents, leur duo improvisé donne au polar des ambiances de buddy movie et quelques scènes franchement drôles. LaRoy mêle avec finesse comédie et noirceur : son monde est certes sans pitié, mais ses personnages sont suffisamment crédules pour susciter la compassion. La naïveté de Ray apitoie — le spectateur fera le lien entre les absences simultanées de son frère et de sa femme bien avant lui — tout autant qu’elle afflige. Le parti pris risqué de prendre comme centre un personnage en retard sur le spectateur est finalement payant : Ray éclot comme personnage sous nos yeux, et quitte peu à peu son regard de chien battu et amouraché. 

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Spleen en accéléré

Les influences de Shane Atkinson sont claires : on trouve ici et là l’esprit des comédies de duo et le réalisateur reconnaît volontiers avoir été inspiré par les films des frères Coen (Fargo, Sang pour sang). Mais LaRoy parvient à créer son style propre. Quelque part entre l’intrigue touffue et les punchlines bien senties, l’immobilité de la caméra ramène au spleen d’une ville insatisfaite. Un spleen jamais exprimé, un flottement indicible qu’on remplace par de l’aigreur. Stacy-Lynn ne sait pas pourquoi elle a épousé Ray ; sans doute a-t-elle cessé d’espérer. Plus que le destin, c’est le déni qui souffle sur les personnages de LaRoy et leur fait refouler leurs ambitions. On trompe, on triche, on tue ; de médiocres échappatoires faute de chercher plus loin. Dans cette mélancolie, seule la voix mal assurée de Ray assume ses désirs : peu importe l’argent ou le salon de beauté, il veut l’amour de sa femme, qui ne l’a jamais aimé. Les interrogatoires dans les toilettes, les fenêtres qui volent en éclat, les courses-poursuites, tout n’est qu’une distraction ; sous les rires, la tragédie n’est jamais très loin. Pourtant, à courir tête baissée derrière cette mallette, Shane Atkinson n’a peut-être pas suffisamment exploité cet aspect prometteur de son long-métrage. Avec son humour et son rythme effréné, le voyage est divertissant. LaRoy est un bon film, et l’on sort satisfait de notre visite. Mais une fois passée la surprise, pas sûr que le charme opère deux fois. 

  • LaRoy, un film de Shane Atkinson, avec John Magaro, Steve Zahn et Dylan Baker, en salles le 17 avril.  

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