La Vie selon Ann

La Vie selon Ann ou les prospérités du vice

Dans un premier long-métrage burlesque, Joanna Arnow filme et incarne Ann. Avec ce film jouissif d’une douceur surprenante, la réalisatrice propose une réflexion sur la domination qu’elle ne situe pas dans la sexualité mais dans le rapport à une société libérale qui condamne à la solitude.

La Vie selon Ann

Le quotidien d’Ann est rythmé par ses sorties amicales, ses dîners familiaux, son travail et, surtout, ses relations sexuelles. Trentenaire célibataire et adepte du BDSM – dans le rôle de la dominée – on suit son quotidien le temps d’un été à New York.

« Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » ?

La vie d’Ann tourne apparemment autour de ses partenaires. Le film se divise en cinq chapitres intitulés d’après les noms des personnages : d’abord Allen, puis Thomas et Elliot, à nouveau Allen, ensuite Peter, Huge, Martin, Bob et Jason, et enfin Chris. Chaque segment a son propre rythme. Tour à tour vont se succéder plan cul datant de 9 ans trop confortable pour se décider à le quitter, nouvelles expérimentations sexuelles et rencards en série pour trouver un petit ami… Avec Chris, elle va tenter de construire une vie de couple plus conventionnelle dont le BDSM ne fait pas partie. Après ce fragment amoureux aux airs de rom-com, le film se clôture par une scène avec Allen, reproduisant presque à l’identique celle que l’on voyait en ouverture. Cette fin n’est peut-être pas l’aveu de l’échec du couple. La réalisatrice ne raconte pas une histoire, avec un début, une fin et des chapitres qui suivent une forme linéaire, ainsi, Joanna Arnow abolit tout sentiment de finalité, questionnant la continuité dans la narration.

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Conte satirique

L’utilisation de l’espace-temps, à la fois circonscrit dans un référentiel donné, et en même temps étiré, suspendu dans certaines scènes, rappelle les Contes de Rohmer. La bande-son (signée Robinson Senpauroca), une mélodie qui met du temps à intervenir dans le film et le fait ponctuellement, redouble ce sentiment. Cette douceur permet aussi de donner corps à la vision de la vie selon Ann. Le contraste avec ses pratiques sexuelles est évident mais permet de faire valoir, au sein de la violence apparente du bondage sadomasochiste, un plaisir consenti et constitutif de ces conduites. Les dialogues décalés et absurdes rendent le film résolument drôle (invoquant les prouesses d’écriture de Woody Allen dans ses premiers films). Après avoir passé la soirée à sucer le téton d’Allen et à courir dans toute la pièce à sa guise, Ann prend le métro et s’achète une glace au chocolat sur le trajet. Aussi banal et galvaudé que ce parallèle puisse paraître, la scène n’en est pas moins comique. Ann mangeant la glace, qui met plusieurs secondes à réaliser, puis continue de la lécher, consciemment cette fois-ci, répétant les mêmes gestes que ceux pratiqués quelques heures plutôt sur le téton de Max, hilare toute seule sur le quai du métro.

Il est question de son plaisir à elle, celui de la dominée qui souhaite se soumettre. Le film déjoue ainsi notre conception de l’érotisme.

Dialectique du maître et de l’esclave

Les scènes de sexe relèvent du bondage et du sadomasochisme. Elles impliquent un maître et un dominé ainsi que son lot de déguisements et de latex. Paradigme qui pourrait laisser sous-entendre une violence, voire une certaine misogynie (pointée du doigt ou non), mais ce n’est pas le cas ici. Le plaisir est le maître mot. Il est question de son plaisir à elle, celui de la dominée qui souhaite se soumettre. Le film déjoue ainsi notre conception de l’érotisme : lécher un téton ou voir quelqu’un courir d’un bout à l’autre de la pièce uniquement parce qu’on le lui ordonne relèvent-ils de l’érotisme ? Là où il y a pratique sadomasochiste, il y a domination, certes consentie et qui procure du plaisir, mais domination tout de même. La réalisatrice n’ignore donc pas la question de la servitude volontaire. Sauf qu’ici ce ne sont pas uniquement les dynamiques de domination en jeu dans les relations sexuelles et amoureuses qui sont mises en cause, mais toutes celles qui sous-tendent notre société. Ann fait de ces dominations et de toutes les sphères de sa vie un terrain de jeu. Elle prend plaisir à jouer  : parfois en se pliant aux règles, parfois en les transgressant, voire en les modifiant carrément, pour les faire siennes, puisque c’est précisément elle qui mène la danse.

  • La Vie selon Ann, un film de et avec Joanna Arnow. En salles le 8 mai.

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