Un an seulement après son brillant et très remarqué Que notre joie demeure, couronné notamment des prix Médicis et Décembre, le Québécois Kev Lambert revient avec un nouveau roman, Les Sentiers des neiges, qui plonge dans l’enfance et son imaginaire au travers d’un conte de Noël.
Après les ouvriers de Querelle ou la haute société montréalaise de Que notre joie demeure, Kev Lambert s’intéresse cette fois, avec Les Sentiers des neiges, à l’enfance. Il plonge ainsi le lecteur dans un récit qui se déroule sur quelques jours seulement, de la veille du réveillon de Noël de l’année 2004 au jour de l’an 2005 – un ancrage temporel qui renvoie à la propre jeunesse de l’auteur, né en 1992. Le roman s’ouvre par un bouleversement : pour la première fois, Zoey, âgé de 8 ans, ne passera pas Noël avec sa mère, ses parents venant tout juste de se séparer. Ce ne sera pas la seule perturbation à émailler les 400 pages suivantes qui verront son jeune protagoniste faire face à lui-même, trouvant comme seule alliée sa cousine adoptée d’origine asiatique, Emie-Anne, âgée de deux ans de plus que lui.
La possibilité d’un monde
Dans sa manière de dépeindre l’enfance, Les Sentiers des neiges montrent la difficulté de Zoey d’exister tel qu’il l’entend. À l’école, il a peur d’être considéré comme un de ses camarades rejeté et souffre-douleur, Christopher Ouellet, « un dodu de cinquième qui parle avec une voix de fille ». Alors Zoey fait profil bas pour ne pas s’attirer les moqueries des redoutables frères Gagnon. Pour oublier ses problèmes, Zoey cherche à s’évader ; il s’invente un monde à lui, qui lui correspondrait davantage, un « espace intérieur [qui] ressemble à un grand dôme […], protège des remous, des tumultes orageux ». C’est dans ce monde à part qu’il emmènera, afin de fuir les fêtes en familles si « plates » (ennuyeuses), sa cousine dans une quête. Celle-ci s’inspire largement des univers des jeux vidéo et des livres de fantasy que les deux enfants aiment, y cherchant « un lieu où les lois sont différentes, où la magie règne et où les enfants comme Emie trouvent leur place ». Ainsi suivent-ils la trace de Skid, « un genre de démon avec un masque », et dont le nom provient de la contraction de « Skull Kid », créature du jeu vidéo Zelda. Tout à tour inquiétant ou fragile, il apparaît comme une sorte d’alter ego de Zoey, incarnant ses peurs et ses angoisses, mais aussi la recherche de pureté qui l’anime avec sa cousine, tous deux se mettant à tenter d’aider cette créature révélant une altérité fascinante.
La narration se situe dans un entre-deux, dans une capacité à passer de l’enfance à l’adulte, de les imbriquer.
Car en cette période de fêtes, Zoey et Emie sont confrontés aux adultes et à leur famille. « C’est tellement con, une famille ! Du monde que t’es obligé de voir une fois par année même si tu les hais », enrage ainsi Emie. Dans les différents repas de famille qui parsèment le roman et que fuient les deux jeunes héros, les adultes paraissent idiots, inconséquents, grotesques, vulgaires, pleins de mauvaises intentions, incapables de comprendre les enfants…. « Faites que je sois jamais comme eux », se souhaite Emie. Alors, quand Skid menace de faire tomber la lune sur le lieu où se déroule le réveillon, menaçant leur famille, les deux enfants se demandent s’il faut vraiment l’arrêter ou au contraire l’aider, pour être « débarrassés de tout le monde […] vivre notre vie comme on veut. »
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Une volonté d’émancipation
Pour ce récit qui cherche à saisir la complexité de l’enfance, Kev Lambert déploie de nouveau une narration passionnante, riche en expérimentations, et qui est une véritable aventure en elle-même. Le regard qu’elle porte sur Zoey et Emie n’est jamais celui condescendant d’un adulte mais elle ne tente pas non plus d’imiter naïvement l’enfance. Au contraire, la narration se situe dans un entre-deux, dans une capacité à passer de l’enfance à l’adulte, de les imbriquer, de montrer une véritable attention et compréhension, alors que la période de transition de l’adolescence se profile pour les deux personnages. Des enjeux qui se traduisent aussi dans l’usage du discours indirect libre et des pronoms qui disent toute la difficulté de définir l’aspect composite des êtres : ainsi passe-t-on du « il » au « je » mais aussi au « on », tandis que Zoey est parfois caractérisé au féminin pour exprimer son intériorité. Car il s’agit bien de raconter une volonté d’émancipation autant que d’accepter le monde tel qu’il est. Des sentiments qui annoncent la fin de l’enfance, la perte d’une forme d’innocence, que redoute tant Zoey… Un monde s’achève pour Zoey et Emie, tel un écho qui semble résonner au fil des romans de Kev Lambert.
- Kev Lambert, Les Sentier des neiges, éditions Le Nouvel Attila, 432 p., 21,90 €.
- Crédit photo : © Julia Marois
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