Pour son premier long-métrage, le Belge Leonardo Van Dijl s’est penché sur l’univers du tennis, régulièrement agité par des scandales sexuels. Âpre et glaçant, Julie se tait trace avec justesse le parcours d’une jeune championne confrontée aux exigences du sport de haut niveau, où le silence est d’or.

Julie s’entraîne. L’entraînement est terne : c’est l’hiver, et dans un gymnase gigantesque, gris et glacial quelque part en Belgique Julie frappe des balles avec comme une rage contenue. L’an dernier le délicieux Challengers (Luca Guadagnino) nous proposait une vision pop et sucrée du sport de haut niveau, du tennis chic et choc où la sueur faisait saliver : le tennis de Leonardo Van Dijl est moins riant.. En bon nordique, il a gardé du sport les aspects les plus austères, la répétition infinie des mêmes gestes, les souffrances du corps, une discipline de fer. Il y a de l’ascèse dans cette contrainte infligée au corps et à l’esprit ; à côté de Julie, la workout routine de Rocky Balboa ferait presque sourire.
Par la bande
Toute la vie de Julie (Tessa Van den Broeck) tourne autour du tennis. En la suivant dans ses journées, la caméra de Van Dijl, parfois quasi documentaire, saisit autant le tennis que la vie d’une jeune fille de 17 ans. Sportive de haut niveau, elle doit souvent quitter les cours plus tôt pour aller s’entraîner, où bien elle en est dispensée. L’entraînement empiète sur les devoirs, sur le temps pour soi. Les parents encouragent leur fille, à distance et non sans inquiétude ; les trajets en voiture, au retour de l’entraînement, sont des moments d’échange un peu embarrassés. Les amis enfin, sont à la fois amis du club et camarades de classe. Les rivalités sont légères, et la camaraderie domine : Van Dijl est loin du teenage movie, et il y a de la retenue dans les liens qu’il crée entre ses personnages, ces affections qui se montrent par quelques mots en passant, un geste de sympathie, ou juste le temps passé ensemble.
La bande d’amis joue ici un rôle central. Elle est un environnement protecteur, comme un premier écran face à l’hostilité du monde. Dans ce groupe mixte et mouvant, on parle français et flamand, sans préférence. C’est au sein de ce groupe, et parfaitement mêlée à eux, que Julie reçoit la nouvelle qui change le cours du film. Quand une jeune tenniswoman belge se suicide, des doutes s’élèvent sur les méthodes d’un entraîneur du club, Jérémy, qui entraîne aussi Julie. Dans la bande, tout le monde est unanime : Jérémy n’a rien fait, c’est impossible. Il faut le dire pendant les entretiens, il faut le couvrir ; ils ne trouveront rien de toute façon. Pour nous spectateurs, il y a un malaise dans ces réactions : après les scandales dans le monde du sport et spécifiquement du tennis, on pourrait croire que les réflexes ont changé chez ces jeunes dont l’enfance est strictement contemporaine du mouvement #Metoo. Il n’en est rien.
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Se taire : méthode
Julie se tait ne cache pas la menace qui plane sur ses courts. L’image est granuleuse, presque grise à force d’être désaturée, et les cadres resserrés, décentrés, instillent en nous un vague malaise. Dans le silence complet résonnent les coups de raquette et le grincement des baskets. Les plans durent si longtemps qu’on croit que quelque chose va se produire. Le visage de Tessa Van den Broeck est fermé, buté, tout son corps est tourné vers la performance, dans un contrôle absolu. Et quand le malheur arrive, le probable se produit : Julie défend son entraîneur. La championne prend l’avantage : il n’y a rien de la jeune fille en elle, elle ne veut pas être faible ni fragile. Elle n’a que mépris pour son nouvel entraîneur, l’amical Backie, et elle continue à voir Jérémy en cachette, à suivre ses conseils. Quand même, difficile pour elle de ne pas s’identifier à la joueuse qui s’est tuée, à Aline dont le parcours est comme une anticipation du sien. Et les doutes s’élèvent, et Julie dans le silence de sa chambre regarde en boucle les dernières interviews de son alter ego.
Julie se tait, au présent, comme un présent d’éternité, un présent continu : Julie se tait, Julie s’est tue.
Julie se tait et continue de se taire. C’est la grande force du film de Leonardo Van Dilj que de tenir ce silence, et en le tenant de nous pousser dans nos derniers retranchements. Le silence de Julie, la violence de ce qu’elle ne dit pas s’inscrivent dans la rigidité de ses traits. Dans son visage d’une dureté presque martiale, il y a pourtant déjà de la détresse. Son regard exprime le déchirement, entre parler et ne rien dire. Les parents la pressent doucement, ses professeurs, le personnel du club, « s’il y a quelque chose à dire », et tout le monde sent bien qu’il y a quelque chose à dire, cela devient inévitable. Elle se tait pourtant, Julie, et elle met toutes ses forces dans l’acte de se taire ; car parfois se taire est plus difficile que de parler, se taire est un effort permanent, une lutte qui épuise. Julie se tait donc, au présent, comme un présent d’éternité, un présent continu : Julie se tait, Julie s’est tue. Elle se taira encore, elle se taira jusqu’au bout.
- Julie se tait, un film de Leonardo Van Dijl, avec Tessa Van den Broeck. En salles le 29 janvier 2025.
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