L’enfant terrible de la photographie contemporaine, Juergen Teller, frappe encore avec la très vaste rétrospective présentée sur son travail au Grand Palais éphémère à Paris. Une ode à tout ce qu’il y a de mordant dans l’existence.
Ce sont quelques mots qui accueillent le visiteur, les seuls mots de toute l’exposition et avec lesquels le photographe exprime son excitation « d’avoir la plus grande exposition » de sa carrière ici et de pouvoir « donner la clé » pour entrer dans son monde et comprendre son travail. De fait, il est sans doute nécessaire de plonger avec lui pour apprécier son œuvre. Le visiteur doit laisser ses préjugés à la porte de l’exposition pour en extirper toute la quintessence. Exercice qui n’est pas évident et peut-être rendu plus compliqué encore par l’absence de tout cartel. Mais passons sur ce choix critiquable pour nous attarder davantage sur le travail du photographe.
Ce qui vient d’emblée devant les photographies de Teller est la crudité revendiquée et portée haut. L’utilisation quasi systématique d’un flash souligne avec force les saillies des choses et nous conduit à une forme de voyeurisme, du moins à une acuité immédiate envers le détail. Mais ce « piquant » de la crudité est compensé par la douceur de la mise en scène, souvent humoristique, toujours très humaine et qui nous interroge profondément. Le talent inouï de Juergen Teller est sans doute là : parvenir à réunir ce qui pourrait être bassement vulgaire avec ce qu’il y a de spirituel dans notre rapport au monde, mêlant le faux au vrai, le moche au chic, le simple au sophistiqué, le bête au civilisé.
Charlotte Rampling
C’est que Juergen Teller a compris son époque : il joue avec les codes de notre monde en les détournant, tourne en ridicule une posture sociale, provoque sans cesse avec délicatesse ou grivoiserie, mais toujours pour susciter en nous un sourire à la fois moqueur et complice.
Nous comprenons ainsi, au fil de l’exposition, comment Juergen Teller est devenu l’égérie du milieu de la mode et a travaillé pour de très nombreuses maisons, notamment Marc Jacobs dont il s’est amusé à faire une vaste série présentée dans un livre. C’est que Juergen Teller a compris son époque : il joue avec les codes de notre monde en les détournant, tourne en ridicule une posture sociale, provoque sans cesse avec délicatesse ou grivoiserie, mais toujours pour susciter en nous un sourire à la fois moqueur et complice. Nous reconnaissons avec amusement la grande part d’autodérision de l’artiste et nous nous demandons même s’il a été sérieux une seule fois dans sa vie – nous avons la réponse , oui, évidemment, vu la quantité de travail que représente son œuvre, en particulier ses photos de mode.
Hymnes à la joie de vivre et à l’amusement, ses images dressent son propre itinéraire, souvent au milieu des stars – ainsi de sa performance où il se trouve nu avec Charlotte Rampling au piano, de cette photographie de Björk avec son enfant ou bien de ce portrait d’Yves Saint Laurent où ce dernier semble être une créature prête à vous manger tout cru. Itinéraire parfois moins sophistiqué, avec sa femme par exemple, où Juergen Teller et elle, déguisés en ouvriers de chantier, se prennent en photographie près d’un tractopelle s’amusant à tourner en dérision la « construction du couple ». Juergen Teller impose ainsi son intimité. Il va même jusqu’à prendre en photographie ses enfants, les épinglant au début et à la fin de l’exposition, nous faisant ainsi comprendre qu’ils sont au centre de sa vie, lui qui a choisi comme titre à cette rétrospective : « i need to live ». Ce qui pourrait paraître comme un narcissisme éhonté est ici commué en une performance intense où, si nous acceptons de jouer le jeu avec lui, nous ne pouvons que nous réjouir.
- I need to live, Juergen Teller , Grand Palais éphémère , du 16 décembre 2023 au 9 janvier 2024
Jean-Baptiste Gauvin
Crédit photo : Self-Portrait with pink shorts and balloons, Juergen Teller, Paris 2017
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