Il pleut dans la maison : le plat pays

Récit initiatique sur fond de misère sociale, Il pleut dans la maison coche a priori toutes les cases du film indépendant anecdotique et larmoyant que l’on encense à la Semaine de la Critique. C’était sans compter sur l’art du portrait d’un frère et une sœur que déploie Paloma Sermon-Daï, contrant ainsi le naturalisme complaisant.

Le titre-phrase du premier film de Paloma Sermon-Daï est à comprendre au sens météorologique. Jacques Brel aussi avait été pris d’une tendresse territoriale. Ici, la Belgique connaît pourtant un été indien, qui s’étire indéfiniment et provoque un état de langueur morose. La canicule revêt une signification métaphorique, comme prétexte à l’exercice d’une météo intérieure.

Dans une périphérie hideuse en Wallonie, vivent Purdey, dix-sept ans, et son frère Makenzy : deux pauvres âmes livrées à elles-mêmes. Leur maison délabrée prend l’eau et dans les chambres à l’étage, on crève de chaud. Les journées sont dévouées à la flemmardise au bord d’un lac artificiel dont les campagnes tristes post-industrielles ont le secret et qui sont prises d’assaut l’été par des touristes hollandais. Ils partagent la plage avec tous les pauvres du coin, gentiment appelés en France ceux qui n’ont pas les moyens pour partir en vacances.

Le parti-pris est naturaliste, et Sermon-Daï cherche à produire des effets de réel. Ainsi, c’est d’abord une langue qu’elle capte, rugueuse, grammaticalement bancale, mais aussi des modes de consommation. Chez les Picards de Bruno Dumont dans le récent L’Empire, on voyait des hypermarchés et une petite dame misérable pousser son caddie en allant au-devant d’une Camille Cottin fraîchement débarquée sur la planète terre. Les gamins belges vont faire leurs courses à pied et achètent en gros des paquets de pâte premier prix. On pense aux plâtrées de nouilles à la sauce tomate chez Pialat, dans d’énormes marmites posées comme des trophées sur la table où l’on mange en silence, parce que « chez ces gens-là, Monsieur, on ne cause pas, on compte ». Le portrait social est brillamment brossé. Sans misérabilisme ni artifice, Paloma Sermon-Daï s’intéresse à la condition précaire qu’elle ne fétichise manifestement pas du tout et évite adroitement les passages obligés du film social dont le cinéma belge est pourtant friand.

L’effet du réel

La justesse sociologique se mesure plutôt dans les détails. Le choix des prénoms à consonance anglo-saxonne pour faire chic par exemple, ou dans certaines scènes anodines d’une grande finesse : Purdey, longs faux ongles en gel d’un bleu lagon douteux, se pomponne en regardant la nouvelle vidéo Youtube de Sananas. Et puis quand on cherche un peu de réconfort, on se rend chez l’ami qui a la clim, ou chez le voisin qui a la PS5. Les tranches de vie se succèdent sans ennuyer parce que la cinéaste pose un regard attendri sur l’adolescence, comme un entre-deux inconfortable entre l’enfance qu’elle avait exploré dans un précédent court-métrage intitulé Makenzy et la vie d’adulte qui était au cœur de son autre film au format court, Petit samedi. Purdey voudrait extraire son frère de leur milieu triste pour commencer enfin leur existence.

La peinture sociologique est d’autant plus cruelle qu’une certaine misère psychologique est à l’arrière-plan : la mère démissionnaire des adolescents prend la poudre d’escampette un soir, les laissant sans le sou et sans nouvelles. Il n’en sera presque plus question dans la suite du film.

Le trouble adolescent se confond avec le sentiment diffus qu’il s’agit là d’un été décisif, au cours duquel le temps s’allonge étrangement parce qu’il précède la prise de décisions radicales, un changement d’époque. Cette fébrilité semble justifier à la fois la brièveté du film et son rythme répétitif. Et ce qui porte avant tout ce récit ordinaire est une performance d’acteurs. Makenzy, Purdey imposent un jeu frontal, d’un naturel désarmant, parfois comique, sans jamais verser dans des facilités de composition.

La cinéaste rend hommage à un couple de Petit-frère et Petite-sœur digne du beau conte des frères Grimm.

La réalisatrice les connaît intimement, ils n’ont pas été trouvés dans la rue, par hasard, et semblent s’insérer dans le film comme dans un cocon familier. Plus encore, Il pleut dans la maison prend la forme d’une histoire d’amour entre frère et sœur, ce qui est trop rare au cinéma et confère au film sa tonalité doucement dramatique.

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Frérocité

S’ils se chamaillent beaucoup, les deux ados vivent à la manière des inséparables. Lorsque l’un traverse une mauvaise passe, l’autre semble l’éprouver jusque dans sa chair : on voit Makenzy appeler sa sœur en sanglotant après un cauchemar alors qu’elle fait le tour des numéros d’assistance de l’État pour obtenir une aide financière qui leur permettra de vivre décemment. Cette alternance entre des moments banals de leurs vies respectives renforce le sentiment d’un destin commun, d’un rapport organique dans lequel les deux héros puisent l’énergie nécessaire pour faire face à l’adversité. La cinéaste rend hommage à un couple de Petit-frère et Petite-sœur digne du beau conte des frères Grimm. Comme les orphelins harcelés par leur marâtre, Purdey et Makenzy vont s’enfuir, courir le vaste monde, trouver une source dans la forêt à laquelle s’abreuver, et peut-être même le château d’un roi où on les considérera enfin dignes de vivre heureux ensemble jusqu’à la fin de leurs jours.

  • Il pleut dans la maison, réalisé par Paloma Sermon-Daï, avec Makenzy Lombet, Purdey Lombet. En salles le 3 avril.

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