Livia voit son univers basculer lorsqu’une maladie dégénérative la condamne à perdre progressivement la vue. Pourtant, loin de se laisser submerger, elle réinvente sa façon d’habiter le monde, explorant les nuances de l’invisible et les couleurs de la vie. Une œuvre vibrante, portée par une plume imagée. Avec La couleur noire n’existe pas, Greta Olivo livre une œuvre poignante et lumineuse qui transcende le genre du roman initiatique.

« Je n’arrivais pas à ouvrir les yeux. Une chose naturelle, que j’effectuais tous les matins depuis que j’étais née, sans avoir à y penser, sauf que cette fois-ci, j’avais l’impression qu’ils étaient piégés sous mes paupières », constate Livia, 15 ans, avec effroi. Elle a la vie devant elle, une famille aimante, des yeux et un minois magnifiques. Passionnée de course, elle incarne une jeunesse insouciante, mais son quotidien bascule lorsqu’on lui diagnostique une rétinite pigmentaire qui la condamne inexorablement à la cécité. Dès lors, l’autrice italienne parvient à capter avec justesse le choc de cette annonce, le désarroi face à la perte, et la force de caractère qui émerge peu à peu chez son héroïne.
Livia est un personnage profondément humain, dont les failles et les combats résonnent avec le lecteur. Elle n’est pas parfaite : elle doute, elle se met en danger, elle cède parfois à la jalousie ou à la colère, mais c’est précisément ce qui la rend attachante. Son refus de se laisser définir par son handicap et sa volonté de vivre une adolescence normale, avec ses premiers flirts, ses maladresses et ses révoltes militantes, témoignent de sa résilience.
« Tu fais une partie d’Angry Birds sans le son. Tu as découvert qu’en augmentant la luminosité de l’écran au maximum et en le collant à ton nez, tu y voyais suffisamment. Dans quelque temps, tu devras changer de téléphone, en prendre un doté d’une reconnaissance vocale. »
« La couleur noire n’existe pas. Il y a toujours des nuances, une traînée de rouge, un trait vert »
Le récit de Livia ne se limite pas à une description clinique de la pathologie. Greta Olivo transforme la rétinite pigmentaire en une métaphore de la perte, du changement et de l’adaptation.
Greta Olivo transforme la rétinite pigmentaire en une métaphore de la perte, du changement et de l’adaptation.
Les passages décrivant la dégradation de sa vision sont bouleversants. La manière dont Livia ressent les choses, les contours flous des objets, les nuances lumineuses qui persistent malgré la souffrance, est décrite avec une précision sensorielle qui rend tangible cette expérience inimaginable pour les voyants. Ce livre, c’est aussi le récit d’une douleur chronique aussi physique que psychique, de l’isolement d’une jeune fille à cause de la douleur.
La narration, empreinte de sensorialité, traduit la transition de Livia vers un monde où la vue cède la place à d’autres perceptions, d’autres sensibilités. L’un des grands atouts du roman réside dans l’écriture ciselée de Greta Olivo, qui contraste magistralement avec l’obscurité dans laquelle sombre son héroïne. La langue est d’une précision chirurgicale lorsqu’il s’agit de décrire l’affection qui touche Livia, son impact ou bien des gestes simples comme cuisiner dans l’obscurité ou de sensations fugaces.
« Je sentis un picotement sous mes paupières, le signe de l’apparition inexorable de ce que le médecin avait appelé le mal de tête des myopes. Ça partait de la base du nez, une pression qui se déplaçait vers les joues, les tempes, rejoignait lentement la nuque et gagnait mes yeux. »
« J’entendais les battements du sang qui pulsait dans mes veines et pouvais voir la morsure de la douleur qui se diffusait lentement, aussi pesante que de la mélasse, inarrêtable. »
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Un enseignement douloureux mais porteur d’espoir
Le roman se construit autour d’un double apprentissage. D’une part, Livia doit apprivoiser sa nouvelle condition, un processus long et difficile, mais accompagné par Emilio, un tuteur lui-même atteint de rétinite pigmentaire. Les scènes où Emilio inculque à Livia comment habiter un monde sans lumière, comme cuisiner, choisir ses vêtements ou marcher seule, sont empreintes d’une délicatesse et d’une vérité qui touchent au cœur.
« Dans les cas de cécité soudaine, les dépressions, voire les tentatives de suicide, étaient très fréquentes. Mais ne pensons pas à ça maintenant, poursuivons les leçons. Nous ne faisions pas que marcher, Emilio et moi. Je devais également apprendre à cuisiner, à remplir la cafetière, à choisir mes vêtements pour le lendemain, tout cela dans le noir. Nous utilisions la cuisine du centre comme salle de répétition, faisions semblant que j’y vivais pour de vrai. Il fallait empoigner le manche de la poêle d’une certaine façon, pour éviter de se brûler, et se fier aux odeurs pour déterminer le stade de cuisson », narre Livia.
Livia doit aussi apprendre à redéfinir son identité, à s’accepter telle qu’elle est et à trouver sa place dans la société. Le roman ne se vautre jamais dans le désespoir ; au contraire, il porte un message lumineux sur la capacité humaine à se réinventer.
Le roman ne se vautre jamais dans le désespoir ; au contraire, il porte un message lumineux sur la capacité humaine à se réinventer.
Olivo réussit également à peindre des tableaux vivants de la vie à Rome, où se déroule l’histoire, inscrivant ainsi le récit dans une réalité palpable.
Une réflexion sur la peur
Olivo confie que sa production est en partie autobiographique, nourrie de sa propre angoisse de la cécité et de son expérience de la myopie sévère héritée de son grand-père. Un homme sombre et noir. Indépendamment de cette maladie, c’est le tempérament de cet homme dont elle ne voulait surtout pas hériter. C’est à travers ce livre qu’elle a décidé d’affronter sa peur. Cette peur se transforme en un moteur créatif qui dépasse la simple introspection. En se glissant dans la peau de Livia, Olivo parvient à affronter ses propres chimères.
La couleur noire n’existe pas s’inscrit dans la tradition des œuvres d’apprentissage tout en renouvelant le genre. Livia est une jeune romaine dont le parcours résonnera chez tous les lecteurs confrontés à une perte, une transformation ou une quête d’identité. C’est aussi une œuvre profondément humaniste, qui célèbre l’importance de redécouvrir le monde autrement. Olivo nous rappelle que, même dans le malheur, il existe des sources de lumière : l’amitié, la transmission, l’amour de soi et des autres.
- La couleur noire n’existe pas, Greta Olivo, Éditions Phébus, 2024.
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