Foudre : à fleur de peau

Dans ce premier film sensuel, la cinéaste suisse Carmen Jaquier filme les émois d’une jeune femme au début du siècle dans les montagnes valaisannes. La montagne incandescente et sublimée apparaît comme l’écrin des premiers désirs. Un film saisissant.

 La peau est rouge, le souffle court. On fait l’amour dans les orties, l’épiderme se couvrant à mesure de petits points blancs. C’est bien que pour les personnages de Carmen Jaquier, l’expérience érotique s’éprouve dans la douleur. Dans Foudre, la cinéaste suisse met en scène une jeune femme de 17 ans, Elisabeth, incarnée avec talent par Lilith Grasmug, qui après sa sortie du couvent et sa réintégration à une famille paysanne religieuse explore ses désirs et sa sexualité. Sur sa famille flotte l’ombre d’une disparue : sa sœur, la mal nommée « Innocente », aurait flirté avec le diable et en serait morte. Enquêter sur sa sœur devient de manière spéculaire un moyen d’enquêter sur elle-même. Se laissant guider par l’ancien journal intime de sa sœur sur lequel elle tombe par hasard, Elisabeth part à l’aventure de sa propre sexualité. Ici, comme très souvent au cinéma (récemment, dans Benedetta de Paul Verhoeven), le carcan religieux agit comme amplificateur et révélateur des pulsions sexuelles.

Carmen Jaquier exploite la dimension licencieuse de l’imaginaire catholique et trace les contours d’une mystique érotique dont le principe fondateur est la quête de plaisir : Elisabeth dialogue avec Dieu à travers la chair et non plus, par l’esprit. À l’image de cette jeune fille qui semble prendre progressivement feu, Foudre est un film sensoriel et sensuel. La réalisatrice travaille autant sur le son que sur une image particulièrement léchée (la montagne filmée par la très talentueuse Marine Atlan a rarement été si belle) pour créer un objet filmique frémissant où affleurent les sensations.

Une histoire d’amour et de désirs

La réalisatrice filme la circulation du désir dans un groupe d’individus.

Le film de Carmen Jaquier se construit sur le mode du palimpseste : elle superpose et joint des références picturales et littéraires locales, à commencer par le peintre Biéler ou l’écrivain Charles Ferdinand Ramuz, comme si filmer la montagne et les paysans ne pouvait se faire sans convoquer un imaginaire figé. Le film s’ouvre d’ailleurs sur des photos d’archives, ce qui l’inscrit d’emblée dans une histoire et suggère aussi, peut-être, qu’il s’agira de la revisiter. En effet, le talent de Carmen Jaquier réside dans la mise en mouvement de ces images, de désirs et de conventions tout aussi contemporaines qu’historiques. L’intérêt de Foudre se niche aussi dans les déplacements qu’il propose.  Là où on aurait pu s’attendre à une histoire d’amour un peu convenue comme moyen d’appréhender les premiers frissons d’une jeune femme, sur le mode du récit d’apprentissage ou du coming of age, la réalisatrice filme la circulation du désir dans un groupe d’individus : dans une des scènes nodales de la découverte, l’amour se fait à quatre. Les peaux se mêlent et se touchent dans des plans rapprochés, qui coupent les têtes et brouillent les identités. Seuls demeurent donc le frémissement d’un corps, d’un doigts, d’une main, d’un sein. Elisabeth n’est jamais filmée comme un objet désiré, fragmentée, mais davantage comme un sujet désirant. Sous son regard, la nature semble d’ailleurs refléter différentes teintes vibrantes, qui traduisent son intériorité. 

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Malgré la charge érotique forte de ce long-métrage, Carmen Jaquier maîtrise l’art de la suggestion. Avare en mots – la lecture du journal d’Innocente par sa sœur constitue le fil blanc qui tisse le récit, Foudre est tendu entre deux principes esthétiques : celui de la retenue et du laisser aller. Le corps de la protagoniste principale en témoigne : Lilith Grasmug déploie une grande palette de jeu et parvient, par un regard sombre ou une crispation faciale, à transmettre les soubresauts émotionnels qui l’habitent. À travers cette retenue, la réalisatrice raconte l’histoire d’un désir féminin empêché. Se revendiquant de réalisatrices comme Andrea Arnold ou Jane Campion, la cinéaste revisite le film historique sans être académique, et donne à des figures de l’ombre – les femmes valaisannes du début du siècle –, une histoire et un corps. Si le sujet n’est pas totalement nouveau – ces dernières années, l’expérience féminine du désir a été décortiquée de part et d’autre – Foudre se présente comme un film maîtrisé et délicat où les premières attirances donnent au monde des couleurs nouvelles. 

  • Foudre, un film de Carmen Jaquier, avec Lilith Grasmug. En salles le 22 mai 2024.

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