L’amour, dans La Fille Verticale de Félicia Viti, est une « plaie d’or dans le thorax » : une blessure vive et précieuse, une tension entre sublime et destruction. Ce n’est pas un sentiment tranquille ou apaisant. L’amour est tranchant, irrévocable, et s’infiltre dans les interstices de l’existence, y laissant une trace indélébile. La narratrice du roman est emprisonnée dans une relation, entre désir, fascination et douleur avec L., la « fille verticale ». Celle-ci devient une allégorie de l’impossible : un amour qui ne peut jamais être pleinement atteint, un idéal inatteignable mais qu’on poursuit sans relâche.

Dans La Fille Verticale, Félicia Viti explore un amour dévastateur et inatteignable, incarné par L., une figure insaisissable et fière, qui refuse toute forme d’abandon. La narratrice, fascinée et obsédée par cette femme, se heurte à la froideur et à la distance que L. impose, malgré leurs moments d’intimité. Cet amour est ainsi comme une blessure vive, la quête désespérée d’une connexion qui n’existera jamais vraiment. À travers une écriture intense et fragmentée, Viti dresse le portrait d’une relation marquée par l’échec.
La verticalité chez L. n’est donc pas qu’une question d’orgueil ou de distance, mais une manière de survivre dans un monde où se coucher et se donner à l’Autre, signifie risquer la perte. Elle reste debout, droite, fière, mais inévitablement seule. Ce que la narratrice, quant à elle, tente de comprendre tout au long du récit, c’est comment aimer une telle figure sans se heurter constamment à son refus de se plier. « La fille verticale c’est celle qui vous tourne le dos quand elle met ses chaussures et qui vous regarde comme un étranger quand elle se réveille. » Ce geste, pourtant banal, renferme toute la dynamique de leur relation : une étrangeté, une incompréhension, un mystère qui persiste au-delà de chaque tentative de rapprochement.
La verticalité chez L. est une manière de survivre dans un monde où se coucher et se donner à l’Autre, signifie risquer la perte.
Une distance insurmontable : l’éternelle inaccessibilité de L.
Dès leur première rencontre, la narratrice mesure cette distance. « Une distance qui, je le comprendrais plus tard, restera toujours entre nous. » Si L. fascine tant, c’est parce qu’elle incarne l’inatteignable. Cette distance ne se réduit jamais, malgré la proximité physique, malgré les moments d’intimité. L. reste toujours ailleurs, dans un espace que la narratrice ne peut jamais rejoindre, ce qui rend leur relation d’autant plus troublante.
Viti construit cette inaccessibilité comme une impossibilité de dialogue véritable. L. parle beaucoup, mais ses mots, tout comme ses gestes, sont des fragments, des morceaux de vie décousus que la narratrice peine à rassembler. Ce manque de communication ne fait que renforcer la fascination obsessionnelle de la narratrice pour L., qui devient alors une figure presque divine, insaisissable, irréductible. La narratrice, dans son désir de combler cette distance, cherche désespérément à déchiffrer le langage de L., à comprendre ses mouvements, son corps, mais tout se dérobe sous elle. « Elle me fixe avec ses airs de sortie de prison », une expression qui résonne avec l’idée que L. s’échappe toujours, qu’elle fuit sans cesse.
Le corps en tension : entre désir charnel et impossibilité de l’assouvissement
Le corps dans La fille verticale est un espace de conflit, de désir insatisfait même, où le contact physique ne signifie jamais véritablement l’union. Le désir de la narratrice pour L. est presque primal, un désir de possession, de fusion, qui contraste violemment avec l’indifférence froide de L. à l’égard de cet amour. « Je veux dévorer cette fille, la manger, l’incorporer à mon existence. » Mais, bien sûr, cette incorporation reste impossible, car L. ne s’abandonne jamais, même dans l’acte sexuel. Le sexe, chez Viti, est effectivement une forme de langage : un dialogue sans mots, un espace où la verticalité de L. persiste malgré la proximité des corps. Les moments où les deux femmes se retrouvent dans l’intimité ne font que souligner cette inaccessibilité, cette impossibilité de pénétrer véritablement le monde de L. « Ce geste sera le seul mouvement d’amour de notre relation. » Tout est fugace, éphémère, comme si chaque moment partagé n’était qu’une illusion de proximité, aussitôt effacée par la distance qui reprend ses droits.
L. incarne un refus total d’appartenir à quelqu’un d’autre, de se fondre dans la masse d’une relation amoureuse traditionnelle. En cela, elle est la “fille verticale”, celle qui ne se laisse jamais capturer. Cette intransigeance fait d’elle un être profondément solitaire, mais elle est aussi la source de sa puissance. L., par son refus de plier, de s’adoucir, de se soumettre, devient presque surhumaine, une force de la nature que rien ni personne ne peut fléchir. Mais cette verticalité est également une forme d’exil. À force de se tenir droite, L. s’éloigne de tout, de la narratrice, mais aussi du monde des émotions. Elle choisit de vivre dans une forme de distance radicale qui la prive de toute véritable connexion. Cette solitude auto-imposée est ce qui rend la narratrice à la fois fascinée et dévastée. L. ne pliera jamais, et c’est précisément ce qui rend toute relation avec elle vouée à l’échec.
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Le déclin d’une relation : l’illusion démasquée
À mesure que le récit progresse, la narratrice prend conscience de l’illusion qu’elle a elle-même construite autour de L. « L’amour c’est un adieu qui insiste. Une plaie d’or dans le thorax. » Elle résume ici parfaitement la nature de leur relation : une blessure toujours ouverte, dorée par l’éclat trompeur du désir, mais une blessure néanmoins. L’amour pour L. est un adieu perpétuel, car L. n’a jamais été présente de manière authentique. Elle a toujours été hors d’atteinte, et la narratrice, au fond, l’a toujours su.
Le roman se termine sur une note mélancolique, mais non dénuée de lucidité. La narratrice accepte enfin que cette quête était vaine dès le départ, et que l’amour qu’elle projetait sur elle n’était qu’un mirage. Pourtant, même dans cet échec, il subsiste une beauté tragique, celle d’un amour impossible, d’une recherche désespérée de connexion dans un monde qui semble refuser de répondre.
La fille verticale est un roman de résistance, de refus, où l’amour est moins une promesse qu’une illusion qui se dissipe. Félicia Viti crée dans cet espace un personnage à la fois fascinant et terrifiant dans sa verticalité, dans son incapacité à se livrer, à aimer. L. est un être hors du commun, une chimère moderne qui ne peut être saisie que par des fragments, des éclats de moments partagés, mais jamais dans sa totalité. Et c’est précisément cette inaccessibilité qui donne à l’œuvre sa force, sa profondeur, et son désespoir.
- La Fille Verticale, Félicia Viti, Gallimard, 2024.
- Crédit photo : © DR.
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