Familiar Touch

Mostra de Venise : Familiar Touch, la fleur de l’âge

Présenté dans la section Orizzonti, catégorie attentive aux jeunes talents, le film de l’Américaine Sarah Friedland Familiar Touch suit le parcours de Ruth durant ses premiers mois à l’Ehpad. Avec ce drame simple mais sensible, tendre et singulier, la réalisatrice américaine Sarah Friedland signe un des films les plus lumineux de la sélection. Et si les coming-of-age movies n’étaient pas réservés aux adolescents ?

Familiar Touch

Baignée dans la lumière orangée d’une belle fin d’après-midi, une octogénaire se prépare dans sa chambre. Elle s’habille avec soin, se coiffe, se rajoute un peu de maquillage avant de s’élancer dans le salon. Elle a rendez-vous avec un homme de trente ans son cadet. À table, un malaise flotte. « Vous êtes marié ? » demande-t-elle, taquine. Il acquiesce. « C’est pas grave, moi aussi ! » s’exclame-t-elle ravie. « Je sais », répond-il mystérieusement avant de l’inviter à le suivre. Mais Ruth, d’abord curieuse et excitée, finit par comprendre son erreur. Il ne l’emmène pas dans un hôtel, mais dans un Ehpad de luxe. D’ailleurs, ce bel homme n’est pas un mystérieux inconnu et une potentielle relation extra-conjugale, mais son fils Steve (H. Josh Benjamin), qui lui jette un long regard triste avant de la laisser aux soins de sa future nouvelle amie, l’infirmière, Vanessa (Carolyn Michelle Smith). Ce trouble premier, cet écart entre ce que se raconte Ruth et la réalité est le principe qui guide un film où la protagoniste ne cesse d’être déroutée dans ses attentes et de déjouer les nôtres. 

Familiar Touch suit le roman d’apprentissage, c’est-à-dire de « désapprentissage » de Ruth dans une maison de retraite luxueuse où les patients participent à des clubs de lecture et font de la peinture entre deux rendez-vous médicaux. D’une esthétique très simple qui se rapproche de celle du documentaire, ce film a pour singularité de proposer un portrait chaleureux et doux d’une femme qui perd certes la tête, mais pas son goût des autres ou sa vitalité. Sans aucun mélo malvenu, Sarah Friedland réalise un tressage serré entre scènes tragiques et scènes doucement comiques ; un condensé de la vie, en bref. Le Familiar Touch (littéralement le toucher familier), c’est peut-être le geste de la réalisatrice qui, faisant ce film, nous rappelle à tous un être aimé.

D’une esthétique très simple qui se rapproche de celle du documentaire, ce film propose un portrait chaleureux et doux d’une femme qui perd certes la tête, mais pas son goût des autres ou sa vitalité

Le cœur des femmes

Également chorégraphe de formation, Sarah Friedland fait le récit d’un corps, celui de Ruth, incarnée par l’extraordinaire Kathleen Chalfant. Elle filme le ballet de son quotidien : ces genoux qui se plient sous la pression de son infirmière préférée, cette bouche qui s’arrondit pour engloutir un cocktail de médicaments et de vitamines et ce cœur qui s’accélère lorsqu’il sent les doigts du beau docteur (Andy McQueen) dans sa nuque. Prenant à contre-pied l’idée qu’un corps âgé serait un corps déjà mort, Sarah Friedland se place du côté de ceux et celles qu’elle filme – on rit toujours avec eux et non d’eux – pour montrer au contraire des corps vibrants, désirants et pleins de réparties.

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Si Ruth apparaît comme une résidente particulière, elle ne fait pas figure d’exception. D’autres seniors – les véritables occupants d’une maison de retraite californienne (Villa Gardens) avec lequel la réalisatrice a travaillé en étroite collaboration – habitent les scènes, comme cette originale qui se met des pinces à linge en guise de coiffure ou cette autre, qui roule des pelles à son voisin de chambre. Ils forment ensemble une communauté un peu forcée, semblable à celle que l’on pourrait retrouver dans un lycée. Nul hasard donc si la réalisatrice reprend littéralement les codes du coming-of-age movie : la scène de bal topique, tout comme celle de la piscine ou celle de la cantine, apparaissent de manière détournée. Façon de dire sans doute le devenir constant de tout être. 

Familiar Touch n’est sans doute pas le film le plus spectaculaire de la sélection. Non, sa beauté tient à sa force de suggestion. La dernière scène en témoigne : après s’être échappée de la maison de retraite et avoir été rattrapée par son infirmière, Ruth croque une pomme et se tourne vers la caméra. Elle lui adresse là quelques mots en allemand. Le visage plissé et rieur de Kathleen Chalfant abrite toute une vie et mille et un secrets, impossibles à percer.

  • Familiar Touch, Sarah Friedland.
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