Robin Josserand est écrivain et bibliothécaire. Il habite et travaille à Lyon. Il a publié deux romans : Prélude à son absence (2023) et Un adolescent amoureux (2024), au Mercure de France. Ce dernier roman, raconte l’histoire d’un jeune provincial en quête de découverte de ses amours et de ses passions.
Zone Critique : Dans votre dernier roman, Un adolescent amoureux, votre narrateur mentionne plusieurs grands noms de la littérature qu’il découvre pendant la période de l’adolescence. Quels sont les auteurs et les ouvrages de votre adolescence que vous admirez ?
Robin Josserand : Le narrateur entretient un rapport complexe avec la littérature. C’est un bon élève qui se prend pour un cancre, qui veut jouer au dur, qui fait semblant pour donner le change (associe-t-il l’homosexualité à la littérature ? Peut-être…), alors il prétend ne pas lire, ne pas aimer lire, ne pas être concerné par ces choses-là. Sa mère lui met malgré tout des livres entre les mains, qu’il se persuade de ne pas aimer et de ne pas comprendre. Elle tente par exemple de lui faire lire les Fragments d’un discours amoureux, parce que c’est, selon elle, un livre qu’il faut lire « à cet âge ».
Le livre se clôt tout de même sur une transformation, une révélation : l’écriture. C’est un narrateur qui finit par accepter son désir sexuel et son désir de littérature. J’avais alors cette phrase de Twombly en tête : « On a beau vouloir s’éloigner de soi-même, on n’y parvient jamais. » L’adolescence, en réalité, pour moi, c’était Salinger, Rimbaud et Guyotat. Salinger avec la Famille Glass – notamment Seymour, une introduction et Dressez haut la poutre maîtresse, charpentiers ; je découvrais des œuvres dans lesquelles je voulais vivre, qui parlaient pour moi. Salinger, c’était et c’est indéfinissable, un peu comme Barthes quand il parle « d’effet-Méditerranée » pour Twombly, justement ; ça parle d’adolescence, des choses d’adolescent, c’est un état, c’est évident, mais c’est inexplicable. Tous les étés, je relisais L’Attrape-cœurs, qui est pourtant un livre d’hiver, mais que j’associais aux soirs d’été, à l’heure dorée. Rimbaud, ensuite, mais Rimbaud le mythe, un visage, un désir, Rimbaud fantasmé – qui donnera d’ailleurs le nom, dans le roman, à l’objet désiré. À mes yeux, tous les adolescents aimés étaient des Rimbaud en puissance. Et puis enfin un livre publié l’année de ma terminale, Arrière-fond, de Guyotat. Une découverte lors d’un voyage scolaire, lier littérature et sexualité, une écriture à « deux mains »… J’y voyais un dogme, une école, une promesse. Deux désirs inextricables.
ZC : « À mes yeux, tous les adolescents aimés étaient des Rimbaud en puissance. » Qu’est-ce que cela signifie ?
RJ : C’est-à-dire qu’ils incarnaient une image. Un mystère qui décuplait mon désir : c’est vieux comme le monde, mais je suis de ceux qui ne peuvent désirer que s’ils admirent. C’était l’image même de l’adolescence. C’est aussi la raison pour laquelle, dans le roman, le garçon aimé s’appelle A. ; A. qui pourrait se lire comme l’Autre. Rimbaud, pour moi, c’était l’Autre, le Grand Autre.
ZC : Jusqu’à présent, vous avez publié deux romans. Quels sont vos débuts littéraires ?
RJ : J’ai commencé à écrire de la poésie vers quinze ans, mais c’était assez mauvais. J’ai ensuite publié un essai, beaucoup plus tard, en 2018, sur la contre-culture américaine, grâce à un concours de circonstances. Et suite à cette publication, j’ai pris la décision d’écrire sérieusement. C’est-à-dire écrire tout le temps, envisager le réel par le prisme de l’écriture. Le sujet, mon sujet, s’est ainsi imposé. Le désir. Je devais faire avec. Puis l’écriture de ce roman est venue assez tôt. J’avais besoin d’affronter mon adolescence. Mais je n’étais pas capable de mener à bien ce projet à l’époque ; l’écriture était trop jeune, je devais encore faire mes gammes. J’ai écrit un autre livre, qui est devenu mon premier roman, puis je suis revenu à Un adolescent amoureux.
ZC : Vous avez mentionné que la publication de votre premier roman était impressionnante. Qu’attendez-vous de votre deuxième roman ?
RJ : La publication d’un premier roman est vertigineuse. Il faut être un peu fou pour s’infliger une chose pareille. Mais je crois que la publication du second roman est encore plus complexe. Il faut répondre à une attente, à ce que l’on pourrait considérer comme un surmoi. Alors reprendre ce premier livre m’a sans doute permis de m’épargner un certain nombre de considérations. Il pourrait d’ailleurs s’agir de prolonger Prélude à son absence, mon premier roman. L’adolescence du narrateur. En vérité, j’attends de ce second livre qu’il complète Prélude à son absence et, dans un sens, qu’il le conclue.
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ZC : Dans vos deux romans, nous retrouvons le même procédé littéraire. Vous avez choisi de raconter vos histoires à travers l’autofiction ? En quoi ce procédé littéraire est-il le plus adéquat pour votre littérature ?
RJ : Récemment, j’ai entendu Laure Murat dire que la fiction était une hypothèse de vérité. Si l’on part du principe que la littérature est là pour éclairer le réel, pour tenter de lui donner une grille de compréhension – pour le saisir, enfin ? –, alors l’autofiction est une évidence. Je ne serais pas capable d’écrire une fiction qui ne soit pas un « Je ». J’ai tout de suite compris qu’il allait falloir mettre le réel en scène afin de pouvoir l’apprivoiser, dans une espèce de tentative de réconciliation. Formuler ces hypothèses de vérité. Parce que je crois que, modestement, si je formule des choses pour moi, je les formule pour les autres aussi. Avec ce livre, j’essaye de réparer le réel, de rejouer ce passé une dernière fois afin qu’il paraisse plus acceptable. Plus adéquat, pour reprendre votre mot. Enfin tel qu’il doit être.
ZC : Peut-on dire que vos textes sont des romans gays, même si ce genre n’est pas tout à fait bien défini ? Est-ce que les romans gays des années 1980 ont eu un impact sur votre écriture ?
RJ : Je suis complètement à l’aise avec l’idée du roman gay. Et heureusement, d’ailleurs, notamment avec le Prélude. Dans le sens où il y a, je crois, avec l’homosexualité, la possibilité et la liberté d’aller plus loin. Mais ce sont avant tout des romans sur le désir. J’ai été nourri par Guibert, bien sûr, mais aussi par Gilles Barbedette, Hugo Marsan ; Dustan, dans une moindre mesure. Il faut admirer ces auteurs. Mais il faut aussi être, avec eux, un peu irrévérencieux.
ZC : Pourquoi ?
RJ : C’est-à-dire qu’il ne faut pas être trop impressionné par ce qu’on pourrait considérer comme des figures tutélaires. Il faut jouer avec cet héritage, avec l’autofiction homosexuelle qui est devenue un genre littéraire en soi. Y insuffler une ironie, une dérision. Je crois que Guibert aurait beaucoup aimé être maltraité par les écrivains qui se réclament de lui.
ZC : Vous dites que vos romans sont basés sur le désir. J’ajouterais que vos textes pourraient être considérés comme des romans d’apprentissage. Êtes-vous d’accord ?
RJ : Oui, tout à fait. Des romans d’apprentissage qui mènent à l’écriture. Mes narrateurs sont des personnages désirants qui se délivrent de ce poids par la littérature. En un sens, ils apprennent à aimer et à écrire. J’avais cette phrase, dans mon premier roman : « Je ne veux écrire, toujours, que des œuvres de jeunesse. » C’est ce que j’ai essayé de faire avec ce second livre.
ZC : Un adolescent amoureux est une histoire sur un ado qui explore sa sexualité et son corps, qu’il n’aime pas. C’est un roman sur les premiers désirs sexuels. Y-a-il une différence au niveau de la sexualité pour les adolescents qui habitent dans des petites ou dans des grandes villes ?
RJ : Oui, je crois. Mais l’époque est également très importante. Aujourd’hui, ça semble plus facile, même si ça n’est pas encore gagné, en tout cas le sujet est mis sur la table. En province, au début des années 2000, ça n’était pas problématique, ou plutôt ça n’existait pas. Ça n’entrait pas dans le réel. Les autres adolescents vivaient leur vie d’adolescent. Pas vous. En vérité, je ne sais pas comment c’était dans les grandes villes. Je sais juste qu’ici, au Creusot, en l’occurrence, c’était comme ça. Ça, je le comprends aujourd’hui. J’ai d’ailleurs d’abord songé écrire une Lettre aux habitants du Creusot, telle la Lettre au père de Kafka. Quelque chose de très violent. J’ai également songé, ironiquement, à dédier le livre à mes anciens camarades. J’aimerais leur demander aujourd’hui : imaginez-vous, à seize ans, vous changer dans le vestiaire des filles une fois par semaine. Ne seriez-vous pas devenus fous ? Nous sommes des héros de ne pas être devenus fous.
ZC : Dans Un adolescent amoureux votre narrateur dit qu’abandonner la ville où il habite serait comme quitter l’enfance pour de bon. Son rapport avec sa ville natale est assez ambigu. Il ne supporte pas cette ville grise, mais ne conserve-t-elle pas aussi les souvenirs de ses premiers amours ?
RJ : Oui, c’est un rapport très ambigu. Autour de moi, les autres adolescents aimaient beaucoup ce lieu parce qu’il avait quelque chose de romantique ; ils vivaient leurs premiers amours dans cette ville industrielle qui était l’écrin parfait pour ça. Moi, j’assistais, je constatais, je restais à distance. J’étais comme un enfant face aux adultes, à propos des « choses de grands ». Je n’ai pas de souvenirs, au Creusot, de mes premiers amours.
ZC : Le narrateur « rêve de fugues ». De quelles fugues parle-t-il ?
RJ : « Fugue », ici, pourrait avoir un double sens. Dans mon premier roman, le narrateur liait l’histoire qu’il vivait avec un jeune homme à la fugue musicale – le livre était traversé par Bach et Glenn Gould – deux mélodies qui cheminent ensemble, mais sans jamais se trouver. Ici, avec Un adolescent amoureux, la fugue, c’est le fantasme, le symbole, l’adolescence comme l’image suprême de la fuite, comme on pourrait dire de Rimbaud qu’il est aussi l’image suprême de la fugue, de la mise en mouvement, de la solitude. Sauf qu’ici, l’adolescent ne fugue pas, ou trop peu. Le livre aurait ainsi pu s’intituler Un trouillard amoureux. Un adolescent que la fugue fascine et terrorise. Son désir ?
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