Débâcle

Entretien avec la réalisatrice Veerle Baetens : « Une adaptation c’est comme une distillation »

Veerle Baetens, connue notamment pour son rôle dans Alabama Monroe, signe ici son premier film en tant que réalisatrice. Avec Débâcle, tiré du livre du même nom, la réalisatrice flamande nous convie à une devinette : celle du personnage d’Eva, une femme prise dans un passé dont elle n’arrive à se dépêtrer.

Débâcle

Zone Critique : Un jour vous recevez le livre de Lize Spit, Débâcle, accompagné de la proposition de l’adapter au cinéma. Qu’est-ce qui vous a saisie dans ce texte ?

Veerle Baetens : J’adore la psychologie, surtout la psychologie des personnages, ce qui m’amène aussi à m’intéresser au  « trauma ». Quand je me prépare pour un rôle, je vais souvent chercher ces traumatismes. Dans Les cinq blessures qui empêchent d’être soi-même, Lise Bourbeau écrit sur le rapport physique du corps aux traumas.

Ce qui m’a happée dans Débâcle, c’était justement cet événement traumatique et cette incapacité d’en sortir, le fait d’être complètement bouffée par ce qui lui est arrivé. De ne plus être que ça.

ZC : Qu’est-ce que vous y avez trouvé de commun avec votre vision du cinéma ?

V.B. : J’aime les films qui me prennent par la gorge, comme Festen de Thomas Vinterberg. Je ne suis pas très sensible au cinéma d’Ostlund, qui est très à la mode. Je préfère le cinéma danois, notamment les films de Lars Von Trier. Lui aussi a cette capacité de donner un coup de poing dans le ventre de ses spectateurs. Même si je trouve qu’il représente les femmes avec un regard très patriarcal. Ses personnages féminins sont hyper intéressants, mais en même temps, ce sont toujours des saintes ou des victimes qui ne se battent pas, qui se laissent faire pour la bonne cause. Dans Dogville, à la fin elle se venge, mais ça reste un personnage qui subit.

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J’aime réfléchir sur les personnages, j’adore essayer de comprendre les gens fragilisés, blessés, sensibles.

ZC : On pourrait pourtant interpréter le dénouement du film comme un échec ? Votre personnage subit aussi d’une certaine façon ?

V. B. : Beaucoup de spectateurs auraient voulu qu’elle soit capable d’exprimer son traumatisme, de le formuler. Mais, si elle avait été capable de le faire, ça aurait été un autre film, avec une fin à l’américaine, un peu comme Promising Young Woman de Emerald Fennell. C’est un film formidable, mais ce n’est pas la réalité. Moi je voulais faire un film sur quelqu’un qui n’est pas résilient. Cette fin est incontournable, c’est une suite logique pour elle.

ZC : Quels écarts avez-vous pu vous autoriser pour cette adaptation ?

V. B. : Lize Spit m’a laissé toutes les libertés. Une adaptation, c’est comme une distillation. Vous avez des pétales de rose, puis vous devez faire la distillation pour obtenir un tout petit peu d’huile essentielle.

Dans le livre, le personnage se parle beaucoup à lui-même. C’est un monologue à la fois psychologique et philosophique, avec de belles métaphores. Mais l’autrice décrit un personnage passif, il a donc fallu traduire toutes ses émotions en action. Le livre est aussi beaucoup plus sombre, moi j’avais besoin d’un peu d’espoir à la fin. « Het Smelt », le titre original, ça veut dire « ça fond », la fonte signifie aussi le début du printemps.

ZC : Par quels procédés cinématographiques avez-vous traduit ces émotions, ce monologue intérieur ?

V.B. : Par le symbolisme. Il y a la métaphore de la tortue sur sa carapace et celle du petit insecte sur le dos. La scène de l’insecte m’est venue en discutant avec une victime d’agression sexuelle. Pendant l’agression répétée, elle se concentrait sur quelque chose dans son environnement pour pouvoir s’évader, fuir dans ses pensées. Et souvent, c’était un petit insecte qu’elle voyait. Elle était occupée par l’insecte et pouvait s’échapper de son corps. C’est un symbole qu’il m’a paru nécessaire d’utiliser dans le film.

ZC : Comment avez-vous conçu la musique du film ? J’ai été surprise par l’irruption de la chanson « Asejeré » de Las Ketchup.

V.B. : Bjorn Eriksson, que j’ai rencontré sur le tournage d’Alabama Monroe, a composé la musique. Pour le film, je ne voulais pas d’une musique de fond, il a donc commencé à écrire, à jouer sur le scénario. Puis j’avais un monteur formidable, très doué pour repérer les moments qui ont besoin de musique.

Vous voyez les Goonies de Richard Donner ? C’est un film qui fait plaisir, qui est nostalgique. Il montre des enfants qui passent l’été ensemble. Il y a un moment dans le film où la caméra est posée assez haut et ils sont sur leurs vélos avec la chanson de Cindy Lauper en fond. Je voulais recréer cette sorte d’ambiance, de nostalgie, celle du tube de l’été. Mon tube de l’été à moi par exemple, c’est « J’aime, j’aime la vie » de Sandra Kim, pour les enfants de Débâcle, c’est « Aséjeré ».

Quant à la chanson qu’Eva chante à la fin, elle est très connue en Flandre, on l’utilise pour les enterrements. Ça fait partie de la devinette du film.

  • Débâcle, un film de Veerle Baetens, en salle le 28 février.

Crédit photo : Savage Film – Thomas Sweertvaegher


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