Un nouveau spectacle de l’artiste Sorour Darabi a été présenté à la Villette. Performeur iranien qui débute son travail chorégraphique à Téhéran, avant de se former en France, Sorour a déjà créé des pièces remarquées pour des institutions tels que le festival Montpellier Danse, le centre Pompidou ou encore pour le Palais de Tokyo dans lequel il a présenté son avant-dernier spectacle, From the throat to the dawn, en 2022.
Sorour Darabi revient avec un nouveau pari fou : adapter les Mille et Nuits sous la forme d’un opéra, en réinvestissant le sens de ce conte millénaire pour lui donner des couleurs neuves, queer., On se souvient que dans Les Mille et une nuits nous est raconté la fabuleuse histoire de Shéhérazade, qui chaque nuit invente un nouvel épisode à ses récits pour échapper à la mort.
Il faut le dire, Deepdawn est un spectacle érotico-monstrueux, jouissif, une réussite !
Le dispositif scénographique est brillant : l’œil est très vite capté et entraîné dans les méandres d’un cauchemar, où sont suspendus à des chaînes de gros blocs de glace desquels flotte une chevelure noire, dont on suppose qu’elle est celle de Shéhérazade, ou de ces femmes tuées avant elle, tandis qu’une fumée laiteuse donne aux artistes des allures de spectres.
l’œil est très vite capté et entraîné dans les méandres d’un cauchemar, où sont suspendus à des chaînes de gros blocs de glace desquels flotte une chevelure noire, dont on suppose qu’elle est celle de Shéhérazade
Deux heures durant, cinq danseurs se meuvent dans cette installation valorisée par une création lumineuse et musicale originale et hypnotique, autour de laquelle le public peut se déplacer. Les artistes nous prennent avec eux dans la visite de cette caverne glacée où le clair-obscur est la composante dominante : de là, des jeux de lumière, réfléchis sur la glace, ouvrent à de nouveaux tableaux d’une beauté toute à la fois rare et ténébreuse, toujours marquante.
Gestuelle répétitive
On est emporté par des chants, notamment en langue farci, qui sont comme des échos des corps en errance : solitude des interprètes qui nous font sentir leurs égarements, dans une gestuelle répétitive, parfois bornée, parfois ritualisée, tandis que la glace fond à mesure que les corps trempés dégoulinent sur le sol. Il y a parfois des moments de grâce : des bougies qui sortent d’une bouche ouverte, dont la lumière dans la nuit noire se réfracte sur les flaques dispersées, produisant une véritable émotion cinématographique ; ou quand Aimilio Sarapoglou, danseur emblématique de Damien Jalet, reçoit sur son corps, dans une souplesse désarticulée, de la cire chaude ; et puis enfin ce duo mémorable, qui évolue autour d’une flûte que se passent les danseurs, tels des charmeurs de serpent complices et amoureux.
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Une performance avec des effets de lumière impactant, des corps pleins de volupté sculpturale, qui s’assemblent et se défont, s’agrippent par peur de la solitude dans ce purgatoire où l’érotisme déployé semble être un moyen d’échapper à l’errance, ou à la mort. Un huis clos qui se termine sur un délire orgiaque et apocalyptique dans lequel s’exerce une sexualité bestiale. Malgré tout, on regrettera quand même quelques longueurs.
Le thème des Mille et une nuits pose aussi question : l’œuvre semble servir de prétexte pour légitimer une expérience collective, qui s’affirme dans les nouvelles représentations du corps où la queerness est un des avatars de l’avant-garde artistique. Car s’il faut réinvestir les œuvres matricielles (aux significations inépuisables) et leur redonner des reflets contemporains, devons-nous quand même justifier notre présent au regard des grands récits, surtout quand ceux-ci ne sont que tout au plus un argument d’autorité ?
À voir pour les plus désireux d’expériences esthétiques radicales et pour celles et ceux, fanatiques ou non, qui chassent les nouvelles voix de la performance contemporaine internationale. Pour un public ouvert qui ne craint pas d’être secoué.
8 au 9 novembre 2024 : Tanzquartier Wien, Vienna, Autriche
5 au 6 avril 2025 : Teatros Del Canal, Madrid, Espagne
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