Civil War

Civil War : Reporters avec frontières

Après un petit film d’horreur tourné dans la campagne anglaise, Alex Garland tente et échoue de nouveau avec un semi-blockbuster qui fait de la potentielle explosion d’une guerre civile aux États-Unis, une réflexion sur les images et leur capacité à capturer l’instant de trépas.

Civil War affiche

Pourquoi croire encore au talent d’Alex Garland ? Après Men, son troisième long-métrage et sans conteste son plus faible, on était en droit de se dire que c’en était définitivement terminé avec Garland. Non pas qu’Ex Machina et Annihilation (son film le plus intrigant à ce jour) soient des purges, mais il n’empêche qu’à chaque fois, ses longs-métrages laissent un goût d’inachevé. Des concepts séduisants, des atmosphères envoûtantes, et finalement rien… Des ébauches de scénarios qui, passé leur installation, peinent à émouvoir et à créer du sens. Et pourtant, on y retourne. C’est le souci de ces cinéastes à concepts qui s’embourbent dans leur sujet ou bien tournent en rond dès qu’ils semblent s’ennuyer (on pense au cas Quentin Dupieux). Mais nous revoilà, devant Civil War, prêts une énième fois à assister peut-être à l’éclosion d’un cinéaste qui stagne en réalité depuis dix ans. Pourtant, le projet était alléchant, troquant les thématiques fantastiques de son auteur pour plonger dans la proche anticipation par le biais d’un road-movie apocalyptique en pleine guerre civile. La première séquence est belle et terrifiante : une émeute, rapidement jugulée par des policiers zélés (on pense un instant aux manifestations françaises) avant qu’un kamikaze ne se fasse exploser. Pas de musique ou de sifflements pour rendre la scène immersive, mais, au contraire, un blanc magnétique. On entend nos voisins tousser, s’agiter, et l’on se souvient que nous sommes dans une salle de cinéma, que la fiction vient de transpercer l’écran, nous rappelant que cette situation d’apparence cinématographique n’est que la représentation de notre réalité troublée. Si tout le film pouvait être ainsi, alors Garland aurait réussi son pari, il pourrait enfin devenir le cinéaste qu’il croit être. 

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La fin d’une carrière sans commencement

Dans cette confusion, il nous présente Ellie, incarnée par Kirsten Dunst, une photographe de guerre qui assiste à la traversée de l’Atlantique des conflits qu’elle a documentés durant toute sa carrière. Peu importe que cette guerre se soit déplacée sur son propre territoire, son air désabusé nous dit tout de son incapacité à voir au-delà des images : un mort est un mort, et elle en a bien trop vu pour s’en émouvoir. On imagine alors la suite de Civil War, nourri par les grands évènements qui auront marqué l’ère Trump : les meurtres d’immigrés mexicains, l’invasion du Capitole … Mais le projet d’Alex Garland est autre et la guerre civile ne l’intéresse pas vraiment. Les causes ne seront jamais expliquées, les camps jamais définis, et ce conflit pourtant radicalement mis en avant dans la promotion (et tout simplement le titre) du film ne sera jamais palpable : les militaires pourraient être des zombies, des infectés, des aliens, des monstres… Ce qui motive Garland, c’est plutôt le journalisme de guerre et la capacité de ces reporters à capturer les derniers instants de la vie. Chaque individu de ce groupe incarne une fonction, de la jeune ingénue remplie d’espoir au vieux roublard attiré par le sensationnalisme en passant par Ellie, l’experte en la matière que les trop nombreux traumatismes vécus auront privée de toute émotion. Le film avance ainsi, dans une forme sérielle où chaque séquence pourrait être rallongée jusqu’à devenir un épisode de 50 minutes. Civil War n’est ni subversif ni politique, mais une vaine tentative de transformer ce qui aurait pu être une jouissive série B en long-métrage complexe et balourd de super-auteur. Garland ne possède pas le talent pour mettre en scène une action décomplexée et hypnotisante, alors il s’enferme dans les caricatures d’un style Netflix où l’image doit dégouliner d’une épouvantable lumière jaunâtre et où les protagonistes, désolant de vacuités, doivent se conformer jusqu’à l’extrême à l’arc narratif qui leur aura été désigné.

Civil War n’est ni subversif ni politique, mais une vaine tentative de transformer ce qui aurait pu être une jouissive série B en long-métrage complexe et balourd de super-auteur.

C’est une autre question qui se pose depuis que Garland est passé derrière la caméra : est-il même un bon scénariste ? A posteriori, ses plus belles œuvres tiennent aux qualités de réalisateur de Danny Boyle (28 jours plus tard) ou à la simplicité efficace et écervelée du script de Dredd. Depuis Ex Machina, il semble au contraire s’enliser dans une fausse complexité qui trahit une volonté de tout contrôler. Alex Garland n’est alors qu’un symptôme de ce nouveau super cinéma d’auteur hollywoodien amorcé notamment par Nolan. À ne pas comprendre que les œuvres de genre les plus épurées donnent parfois les plus grands films (Craven, Hooper, Romero), Garland tente jusqu’à l’absurdité de réaliser un « chef d’œuvre ». Pourtant, le grand cinéma ne s’est jamais créé à partir d’une telle ambition, il doit surgir d’une pulsion, d’une volonté insatiable de donner vie à de nouvelles images. 

Alex Garland a récemment annoncé, avant même la sortie de Civil War, qu’il comptait arrêter la réalisation. Promesse qui sera tenue ou non (on ne compte plus les réalisateurs sortis de leur retraite), il n’empêche qu’elle nous en révèle beaucoup sur ce désir déraisonnable de vouloir tout contrôler, alors que le cinéma, dans sa quête éternelle de captation de la réalité, se doit d’embrasser les imperfections qui le composent. En ce qui concerne Garland, cette annonce arrive à point nommé, on ne comptait plus y retourner. 

  • Civil War, réalisé par Alex Garland, avec Kirsten Dunst, Cailee Spaeny, Wagner Moura, Jesse Plemons. En salles le 17 avril.

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