Bye bye Tibériade : lettre au pays maternel

Dans Bye Bye Tibériade, Lina Soualem revient sur le parcours de sa mère, l’actrice Hiam Abbas et sur celui des femmes de sa famille. À travers un assemblage d’archives familiales et d’images au présent, elle cartographie son identité et le destin de ses aïeuls. Elle propose, avec ce documentaire sensible, une réflexion sur la mémoire et l’identité des exilés palestiniens. 

Comment te dire adieu ? Cette question prononcée par tous les amants délaissés est aussi celle de ceux qui quittent leur terre. C’est aussi peut-être celle qui habite l’actrice Hiam Abbas, figure phare de Bye, Bye Tibériade. Dans ce documentaire, sa fille Lina Soualem, revient sur l’au revoir de sa mère à la Gallicie, près du lac de Tibériade. L’actrice, vue chez Denis Villeneuve ou dans la série à succès Succession, a en effet quitté son village à 23 ans afin de poursuivre ses rêves de gloire. En archéologue, Lina Soualem revient sur le destin des quatre générations de femmes qui l’ont précédée, de 1948 à aujourd’hui.  

Déjà dans son premier documentaire, Leur Algérie (2020), la réalisatrice disséquait la vie de ses grands-parents paternels algériens. S’appuyant sur un dispositif similaire, qui mêle images d’archives familiales et publiques et images tournées aujourd’hui, la réalisatrice continue l’exploration de sa généalogie et sa réflexion sur les territoires qui la constituent, au risque de déterrer des souvenirs enfouis et douloureux. Qui est-on lorsqu’on est la fille d’une femme qui a rompu le destin de sa lignée ? demande la réalisatrice, qui se sent comme le fruit d’une « rupture entre deux mondes ». Nul ne répondra à sa question. Subsiste dans ce film cette impossible jonction entre l’existence de l’actrice et celle de ses aïeuls et ce sens, la tentative de tisser la toile d’une identité déchirée. La voix douce de Lina Soualem qui guide et accompagne le récit tente donc de reconstituer une certaine identité narrative et en expose les failles.

Le récit tente de reconstituer une certaine identité narrative.

Mais la réalisatrice ne tente pas moins de faire son propre portrait que celui de sa mère. Loin de se complaire dans une posture de comédienne, Hiam Abbas joue le jeu de la sincérité et dévoile à la caméra ses souvenirs intimes et son visage ému. Quand le souvenir n’a pas pu être saisi, Lina Soualem use d’un dispositif désormais courant dans le cinéma documentaire contemporain, – on songe par exemple aux Filles d’Olfa (2023) de Khaouter Ben Hania. Ses intervenants se transforment en interprètes : Hiam Abbas rejoue l’annonce à son père de sa relation avec un homme qu’elle n’a pas l’intention d’épouser et fond en larmes. Ici, le jeu n’est pas le vecteur du mensonge ou de la fiction, mais dévoile les fragiles lambeaux du passé.

Ghost story

Si la guerre n’apparaît pas de manière explicite, elle hante le récit et l’histoire de cette famille, qui a connu de multiples déchirements : sur les images des terres que Lina Soualem filme flotte le fantôme de drames, de même que sur les visages des femmes qu’elle cadre ou sur celui de Hiam Abbas qui avoue finalement être partie parce qu’elle se sentait étouffée par le contexte invivable. En ce sens, les images les plus bouleversantes sont aussi les absentes. Ce moment de confidence, par exemple : Hiam Abbas adossée à un balcon, le regard posé sur l’horizon, évoque la manière dont elle a réussi à revoir sa tante Hasniyeh, qui avait franchi la frontière syrienne en 1978 et qui n’était jamais parvenu à regagner les siens, n’ayant pas les papiers nécessaires pour franchir les frontières. Cette autre séquence aussi : l’histoire de son grand-père qui suite à l’exode palestinien en 1948 a perdu ses chèvres, sa maison et, dit-on, en est mort de chagrin.  

Ce long-métrage prend une résonance particulière dans le contexte tragique actuel. En ce sens, Lina Soualem propose un contre-point filmique aux images qui inondent l’actualité. Elle donne un corps, un visage et une histoire à une masse souvent anonymisée et niée. Elle dépeint avec beaucoup de sensibilité les femmes de sa famille et particulièrement les sœurs de sa mère, qui apparaissent joviales, drôles, belles, dans les célébrations qui structurent l’aventure familiale. Au cœur de ce rendez-vous, Hiam Abbas y trouve quelque part le rôle d’une vie. 

  • Bye, Bye Tibériade, avec Hiam Abbass, un film de Lina Soualem, en salle le 21 février.

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