Mais d’où vient Stéphanie Hochet ? Et qu’est-elle en train d’inventer ? Après William où elle osait l’autofiction via une biographie rêvée du grand homme, voici Armures où, à travers les figures de Jeanne d’Arc et de Gilles de Rais, elle tente l’introjection, sinon la descendance mythique. Dévastateur.

Soit une première partie (en trois chapitres : Une, Grâce, Toxique) conçue comme un tableau médiéval, un mystère chrétien où tout est écrit au présent, le texte faisant figure, la silhouette enluminure, l’action fresque ou miniature. Ainsi, dès la première ligne, Jeanne faisant corps avec son cheval, devenant son cheval, galopant au milieu des soldats sous le regard de « Dieu [qui] assiste et approuve ». L’importance de l’animal dans l’œuvre de Stéphanie Hochet, ses Éloges du chat, du lapin, son Animal et son biographe, et ici sa métamorphose équidéenne : « mon corps était mon cheval ». Suivent les voix, l’appel, la mission, tout ce que l’on connaît de la Pucelle et qui réapparaît ici comme dans un livre d’heure – ou d’éphéméride, comme elle aurait dit. Livre de croyante ? Plutôt de voyante, sinon d’écoutante. Si Jeanne a entendu des voix, elle en est elle-même devenue une auprès de tant de gens.
En vérité, Jeanne est surnaturelle. Remarquable cette note de bas de page où, parlant d’Isabeau d’Arc, la mère de Jeanne, l’autrice ne peut s’empêcher de l’imaginer « sainte » et pour la raison « inévitable, logique, que la plus glorieuse des pucelles n’a pu venir au monde que du ventre consacré d’une femme luttant pour le Bien ». Stéphanie Hochet, apologue de l’Immaculée Conception, on aura tout vu !
Livre de croyante ? Plutôt de voyante, sinon d’écoutante.
Il est vrai que cette paysanne a de quoi forcer le respect, même six cents ans après. Son courage, son autorité mais aussi son éloquence étonnante pour une paysanne. Et Hochet de retranscrire sa célèbre réponse à Cauchon : « Jeanne, croyez-vous être en état de grâce ? – Si je n’y suis, que Dieu m’y mette ; si j’y suis, que Dieu m’y tienne », ainsi que sa formidable lettre aux Anglais où elle se révèle une styliste digne de Bossuet : « Si vous ne voulez croire ces nouvelles de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que nous vous retrouverons, nous frapperons dedans et y feront un si grand hahay qu’il y a bien mille ans qu’en France si n’y en eut un si grand ». Tout cela peut-être, grâce à la marque de Dieu que Gilles croit discerner sur son visage, « entre le sourcil et l’œil ». Et là, on se met à son tour à scruter le visage de Stéphanie Hochet, lequel n’est pas sans rappeler le fameux dessin de Clément de Fauquembergue, greffier du parlement de Paris, le 10 mai 1429, et qui est la seule représentation d’époque de la Pucelle.
Histoire, histoires…
L’Histoire qui contient toutes les histoires. La Victime qui incarne toutes les autres. Jeanne, initiale de tant de vierges violées et qu’Hochet fait bien de mettre en écho avec les victimes contemporaines, celles de Michel Fourniret ou encore la jeune Shaïna dont des garçons voulaient « vérifier » la pureté (Creil, 2019.) Littérature christique (pléonasme ?) qui prend tout son sens dans la deuxième moitié du livre, intitulé comme il se doit À rebours, où tout se rejoue à travers la propre vie de Stéphanie Hochet (elle-même, originaire de Tiffauges – patrie de Gilles de Raychet, l’actuel prenant le pas sur l’archaïque, l’existentiel sur l’immémorial – la phonétique elle-même s’en mêlant avec le nom du psy de l’autrice qui s’appelle Gilles le Ray et comme si les noms eux-mêmes étaient des revenants !
De même revient la famille « bernanosienne » de Stéphanie Hochet (elle-même ayant tant à voir à Mouchette) déjà aperçue dans William : le père brutal et envieux, l’oncle atroce, les deux cousin violés et suicidés, et cette mère, fausse sainte et vraie hystérique, qui bat sa fille au nom du père et aussi de sa jouissance à elle : « Elle me corrige. Belle main bien à plat, bien démonstrative. Sa main devient rouge ». Et tout cela pour compenser sa blessure, le grand secret du livre, et dont, comme la narratrice, on tombera des nues quand on le saura. Ou comment un trauma s’avère une vétille. Ou comment un mot malheureux peut faire d’une âme simple une bourrelle. Il en faut passer par la mystique et la monstruosité la plus absolue pour comprendre « le train-train du mal », « la peur dans une poignée de poussière », comme dit T.S. Eliot, cité par l’autrice, le dérisoire mortifère et le crachat pour éviter le meurtre. Et c’est pourquoi Hochet s’identifie « à ceux qui ont commis des crimes sans préméditations, sous l’effet d’une douloureuse colère » et qui sont « ses frères et sœurs de sang versé ». En attendant, la voici déshéritée par ses géniteurs qui n’ont pas accepté ce que leur fille disait d’eux dans leur livre précédent, preuve que quand on ne sait pas aimer, on ne sait pas lire – ou l’inverse. La littérature, haine absolue des familles. Et Hochet résistante ! Sans Jeanne et Gilles, elle aurait sans doute péri. Ses armures mentales, mythiques, peut-être génétiques, c’est eux.
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C’est de ce mélange assumé entre l’image d’Épinal et le drame social que se joue le récit – et toujours à travers cette écriture anti-spectaculaire propre à l’autrice du Roman anglais, qui n’a besoin d’aucune baroquerie pour inciser comme il faut, toucher la membrane, vérifier l’hymen et réveiller la Meffraye. Ce qui nous semblait descriptif, sinon scolaire (ce n’est pas un défaut) était en fait occulte. Hochet n’en franchit pas moins une étape dans son art. Là où William ne faisait que dans l’introjection, Armures frôle la mystique, sinon la métempsychose. L’étonnante page finale qui agit comme une révélation. Bon Dieu ! Ne me dites pas que la femme avec qui j’ai pris un verre l’autre jour (et pas qu’un !) est la descendante de…. !
- Armures, Stéphanie Hochet, Éditions Rivages, 2025.
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