Stasiuk : un Polonais envahissant l’Allemagne !

L’écrivain polonais Andrzej Stasiuk visite l’Allemagne où la mélancolie et la nostalgie, sont les « seuls moyens de ne pas devenir fou ». Car si les généraux aiment les roses, Stasiuk n’imagine pas dans ses pérégrinations alcoolisées qu’un Allemand puisse pleurer. Stasiuk, lui, nous fait rire et songer dans Mon Allemagne (Christian Bourgois) en regardant son Minibar minable dans une chambre d’hôtel donnant sur des autoroutes.  

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? À la lecture de la production romanesque française, la question de Leibniz reste d’une actualité brûlante qui ringardise le port même de maniques. En effet, alors que je descendais les romans impassibles dans lesquels la présence réelle de talent est inversement proportionnelle à la présence ressentie de l’ennui, je me replongeais dans le magnifique Stasiuk. Ecrivain polonais, il fait partie – comme son frère de sang Dovlatov – de la catégorie des « non-écrivants » pour qui la schlague n’a pris les couleurs d’une grille de cruciverbiste. Dans ses livres, la marche du dehors devient une randonnée du dedans, une manière de promenade thaumaturge où pour survivre, parfois il  « boit », parfois il « compare ». Ainsi dans Mon Allemagne, on retrouve notre itinérant sans itérations traîner dans les villes désertées de l’Est, l’esprit entre deux bières, à croiser les jambes et regarder. La littérature est bien cette façon singulière de croiser les jambes et de contempler en laissant les images entrer en « soi » » et en s’efforçant de ne pas penser. La belle littérature ni ne pense ni n’infère. Elle profère et décalque de guingois. Elle rencontre Jachym Topol dans un parc grâce auquel le « sentiment d’absurdité s’atténue ». On a le sentiment de jouer son va-tout, c’est-à-dire d’admettre que les soi-disant faits ne sont que des réalités esthétiques qui tiennent alternativement du chasse-coquin et du prodige. 

Stasiuk, un écrivain mal repassé !

Loin de l’écriture rachitique des minimalistes du minimum dont les titres de livres singent l’indigence syllabique, Stasiuk fait des plis. Il y a les écrivains qui sont des enseignes de pressing et les écrivains mal repassés. Il y a ceux qui prennent leur sexe pour un étendard flottant au gré des examens lacrymaux et ceux pour qui le monde est un monde à soi. Il y a Stasiuk et les autres, propagandistes de leurs vacances et de leurs tracas uro-gynécologiques. Nobel a inventé la dynamite. En littérature, il faudrait parfois s’en souvenir. 

Octave Mirbeau : Le grand leurre des petits mondains

De « la culture des asperges » à l’écriture !

Pendant ce temps, à l’instar d’un Mirbeau dans sa LA 628-E8, sans neurasthénie, Stasiuk déplace sa carcasse dans une Allemagne des quais de gare, des hôtels plus ou moins soviétiques et des salons littéraires qui concernent « aussi bien les spécialistes de la culture des asperges que les écrivains ». Ils croisent des prophètes de salles d’attente qui hurlent une citation du premier livre de Samuel : « Arrête-toi maintenant ». On prendrait presque le christianisme au sérieux !

Il déjeune avec des gloutons invraisemblables qui transforment l’art culinaire en farce intestinale. Il picole avec des polysynodies de paumés, assis sur des bancs à esquisser le néant comme s’il était un marqueur de la dynamique des fluides; ou de jeunes loulous qui confondent le fascisme avec une martingale apéritive. L’Est demeure le grand réservoir de la littérature cannibale : l’anecdote est happée par la déglingue ; l’ironie, ingurgitée par les traîne-savates ; le bonheur, sirotée par la bibine. 

La littérature du « rien qui vaille » nous va 

On y décèle comme la nostalgie joyeuse d’un grand signe qui n’apparaît pas et dont, en réalité, tout le monde sait qu’il n’apparaîtra jamais.

Il semble qu’il n’est rien qui vaille et pourtant c’est de là que la littérature naît toujours au milieu de ce « rien qui vaille », de cette déroute des appétits et de cette nonchalance qui est comme une structure de l’esprit qui ne s’accompagne néanmoins pas d’une mélancolie constipée. On y décèle comme la nostalgie joyeuse d’un grand signe qui n’apparaît pas et dont, en réalité, tout le monde sait qu’il n’apparaîtra jamais. Chez les Slaves, la littérature n’est pas encore un fait culturel pour grands dadais. C’est pour quoi il faut lire Stasiuk. 

  • Andrzej Stasiuk, Mon Allemagne, Christian Bourgeois, 2010.

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