On ne peut pas accepter de vieillir sans avoir vécu sa grande histoire d’amour, c’est le cas de Karoll, dont l’histoire nous est racontée par André E. Royer dans son roman, L’enfant de trente ans. Le héros, journaliste sportif à la béquille, va tout lâcher pour une femme-enfant venue se poser comme une énigme sur son chemin.
Les seules histoires d’amour qui vaillent un livre sont celles qui sont impossibles. « Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » ne se raconte pas mais s’évacue d’un revers pour faire primer le mot Fin. Et avant d’entrer dans ce bonheur prévu par les contes, encore faut-il avoir vécu. Karol s’y est évertué. En passe de basculer dans la domesticité avec Brune, il fuit pour une tocade, une femme-enfant, une Oriane. Instinctivement, il est prêt à tout lâcher, tout gâcher. Il a déjà trente ans et ne veut surtout pas les dépasser avant d’avoir vécu. Il sait depuis l’adolescence que son romantisme le perdra. « Depuis la conscience de moi, j’étais dans l’amour-toujours. »
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L’enfant de trente ans, le dernier roman d’André E. Royer, actualise pour nos temps à la sexualité errante, le thème romanesque de l’amour d’élection rendu impossible presque volontairement. Comme si cet absolu se devait de rester non atteint pour garder son caractère supérieur, pour en prouver son inaccessibilité. « Moi, j’étais l’albatros, le prince des nuées, moi. J’avais des rêves trop grands pour moi, des rêves comme mes ailes, mazoutés, mais je restais immense. »
Naissance des amours plurielles :
La voilà la morsure de la grande histoire d’amour !
Asexué comme un pape, handicapé et poète, Karoll se distingue de naissance. On peut y voir la figure universelle de l’inadapté. Sa béquille prouve au monde ce léger décalage permanent qui est le sien. Quelle idée d’être journaliste sportif ! Cela manque de congruence, crie le monde ! Jusqu’à maintenant, Karoll a aimé des filles, un garçon, et Brune qui veut faire de lui le père de ses enfants puisque c’est l’heure. Pas la sienne par contre. Le Karoll velléitaire attend le jour et l’heure de la séparation. C’est une femme-enfant qui va être le prétexte pour lui de poser un acte définitif : « Va te faire foutre Brune, trouve-toi un homme normal et oublie-moi. » Exit Brune.
La rencontre avec Oriane a eu lieu à Hyde Park, en déplacement professionnel pour couvrir un événement sportif. Oriane se pose en énigme. Sans âge, elle semble fuir sans bouger. Plus Karoll est épris et moins il comprend, il se remplit de « pourquoi ». « Entre nous, il ne pouvait y avoir de banalités. » La voilà la morsure de la grande histoire d’amour ! « J’étais amoureux. J’étais malheureux. C’était interminable. » Karoll prend la suite de ses illustres prédécesseurs de roman : il souffre d’aimer et aime souffrir. Devant le seul défi à sa hauteur, celui de l’amour sublime, celui qu’il attendait depuis ses heures de récré, que va faire l’enfant qui a maintenant dépassé 30 ans ? Capituler ? Se caser ? Fuir ? C’est la prise de tête ! « Qu’est-ce que j’aimerais arrêter de cogiter. »
L’enfant de trente ans a un ton un peu rhomérien. La psychologie s’y déploie, les conversations et les dialogues intérieurs se répandent pour installer la fatalité en ligne de mire. C’est ainsi que le romanesque se trouve actualisé, rafraîchi par André E. Royer.
- L’Enfant de trente ans, roman d’André E. Royer, Ed. L’Orpailleur, 246 pages.
- Crédit photo : (c) D. Journet-Ramel
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