Olivia Resenterra

Piranhas

Sur les étals du marché, parmi les articles de mode colorés et joyeux, on trouve des objets plus sombres comme des piranhas naturalisés. Dans un texte lointain à l’atmosphère aussi vive qu’inquiétante, Olivia Resenterra décrit tout des coutumes locales que nous ignorons. 

Les boucles d’oreille étaient si jolies. Des perles, des plumes : parfait pour une jeune fille. Il y en avait de toutes les couleurs, elle aurait pu les assortir à son maillot de bain. Elle lui avait aussi montré les chapeaux, les tuniques en dentelles, les bracelets que l’on peut porter à la cheville et au poignet. C’était si gai. Mais, rien à faire, elle revenait toujours vers ce stand où des mygales et des scorpions en fil barbelé faisaient cercle autour de petits personnages bedonnants sculptés dans l’ébène. Dans un coin, le vendeur proposait également d’étranges poissons fixés sur des planchettes. 

L’homme était coiffé d’une touffe de dreadlocks ramenées en chignon sur le sommet de son crâne et portait autour de la taille une ceinture-banane à l’imprimé militaire. Il fit glisser les poissons sur le tissu et les invita à s’approcher. C’était des piranhas, des vrais. Pêchés dans les eaux du fleuve Amazone et naturalisés par les Indiens. Elles voulaient une preuve ? Il avait fait mine de presser son pouce sur la rangée de dents. Non, non, non, s’était-elle écriée. 

On le prend. Un seul ? avait demandé le vendeur en fronçant les sourcils. Un seul, ça porte malheur. Sa fille avait dit : on prend les deux.  Le vendeur avait enveloppé les piranhas dans du papier journal et rangé le tout dans un sac en plastique. Sur le chemin de l’hôtel, sa fille marchait devant ; c’était elle qui portait le sac.

Dans la chambre, elle avait déballé le paquet et posé les poissons côte à côte sur la commode. Elle avait demandé : qu’est-ce que tu vas en faire ? Sur le lit, sa fille regardait la télé, les bras croisés derrière la tête. Elle avait répété : tu vas me dire ce que tu vas en faire ? Sa fille s’était levée. Elle avait saisi les deux piranhas. Un dans chaque main. Sans un mot, elle s’était dirigée vers la salle de bain ; elle y avait tiré la chasse d’eau, plusieurs fois. Puis, elle était revenue dans la chambre, les mains vides et avait repris sa place sur le couvre-lit en suçant le sang qui coulait le long de ses doigts. 

L’inspiration d’Olivia Resenterra :

https://zone-critique.com/cultes/caetano-veloso-o-estrangeiro/


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