La mort est bon métier

Avec « La mort est bon métier », l’écrivain Olivier Maillart nous plonge dans la tête d’un homme aux pulsions meurtrières. Mais vouloir tuer, cela va encore. Le plus dur, c’est de le faire ! Une farce cruelle et mordante qui interroge les limites de nos désirs.

Ces derniers temps, mes pulsions de meurtre se sont faites plus pressantes. Depuis l’automne, je dirais. C’est comme une démangeaison qui reprendrait toujours, même quand elle semble s’être dissipée. Quand je travaille, quand je marche dans la rue, quand je cherche le sommeil. L’envie est là. Il suffit d’un rien pour qu’elle apparaisse, puis qu’elle m’entraîne dans les scénarios les plus alambiqués, les plus… Pour autant, je n’en veux pas à tout le monde, hein ! Mais quand j’essaie d’en parler à des amis, ils prennent peur. Ils regardent aux alentours, comme si j’allais leur sauter à la gorge. Alors que pas du tout ! J’ai une idée très précise de qui je veux tuer. Ça n’est pas n’importe qui. Une personne, deux à la limite, pas plus. Je ne suis pas fou, quand même. Là où ça coince, c’est que dès que je mets en branle mon imagination, je bute très vite sur d’innombrables obstacles. Pour l’assassin amateur, il n’y a que ça, c’est infernal ! Quand on pense comme ils s’en sortaient bien, avant… Pas de recherche ADN, pas de vidéosurveillance. À la coule. Bien sûr qu’on pouvait rêvasser, s’amuser à inventer des clubs célébrant l’assassinat comme l’un des beaux-arts ! Mais aujourd’hui… Il n’y a plus que des imprévoyants, des impulsifs, pour s’y risquer. Et ils se font tous gauler. Mais moi, je ne veux pas qu’on m’attrape ! D’abord parce que je suis quelqu’un de respectable : j’ai une vie de famille, un métier sérieux. Et puis, c’est pas pour dire, mais je suis beaucoup trop beau pour aller en prison. Non, non, vraiment, il faut trouver un moyen, une façon… Que ça ait l’air d’un accident ? Oui, j’y ai pensé bien sûr. Ça reste compliqué, mais oui, ça pourrait être ça. Sinon, les pousser au suicide, mais connaissant mes cibles ça risque d’être coriace. Quoique… elle a toujours été fragile, psychologiquement. Elle est suivie. Et lui, bah… c’est un sensible, ça pourrait le faire. M’enfin, par cette voie, ça risque de me prendre un temps fou ! Ah ça y est, je suis encore trop impatient… Un vrai personnage de comédie. C’est ridicule, de vouloir se faire meurtrier, comme ça, quand on n’a pas le métier. Dans tous leurs films à la con, là, avec leurs serial killers qui les fascinent de manière si obscène, qui tuent comme ça, à la chaîne, c’est tellement plus simple. Et sans jamais se faire attraper, bien entendu. Un bon point pour l’assassin, comme aurait dit Cioran. La comédie du meurtre est ancienne, quand on y réfléchit. Il y a eu ce film de Buñuel, ce conte si rigolo d’Oscar Wilde, aussi… Seulement moi, je ne veux pas être ridicule. JE VEUX TUER. Proprement, efficacement. Et sans me faire prendre. Je ne demande pas la lune ! Faire chuter son corps sur la voie ferrée, qu’elle s’éclate bien la gueule sur les rails. Ou bien le noyer dans une mare, dans la forêt. Lester son corps, qu’on ne le retrouve pas avant des mois, méconnaissable.

Derrière la vitre du café, tous ces gens qui passent, sans se douter qu’ils frôlent un assassin, quand même. Les cons… Peuvent pas s’imaginer. Alors que moi… Enfin, ce ne sera sans doute pas aujourd’hui. Mais à force de me triturer la tête, que ça me revienne sans cesse, je vais bien finir par trouver. C’est bien joli de les imaginer en train de souffrir, de supplier, mais ça ne me donne pas le mode d’emploi pour l’après. Ce moment où je sirote mon thé en rigolant, parce que je ne serai jamais pris. Le serveur, là, ça se trouve il sait s’y prendre, lui, avec sa tête de bagnard. Je pourrais lui demander. Mais non, je délire. Allons-y.

C’est agréable, ce froid. Ça va tuer les microbes, en plus. Voilà un assassin malin, bien propre. Ne reste plus qu’à rentrer, se refaire une allure convenable. Si on pouvait lire dans les pensées, je serais mal, quand même. Heureusement qu’on n’a pas encore inventé le moyen. Comme ça, le jour où je m’approcherai, ils ne se douteront de rien. « Ça alors, ça faisait longtemps ! Comment vas-tu ? » Et moi qui répondrai bien gentiment, sans rien laisser paraître. Courtois, même pas distant. Et, pourtant, prêt à frapper.

Bon, faut que je fasse attention quand je divague à ne pas me mettre à parler à voix haute, par contre. Le type en face vient de me regarder bizarrement. Je ne sais plus où j’en étais, ni à quel moment j’ai commencé à parler. J’espère que je n’ai rien révélé, ça serait trop bête. Mais je ne pense pas… Par contre, il est bizarre à continuer à me regarder comme ça, lui. On dirait qu’il me suit. Non, il a pris à gauche, en fait. Je délire moi, ce soir, décidément. Il avait l’air tellement propre sur lui, en plus. Très comme il faut. Comme on peut se faire des idées, quand même. Ah mais, n’est-ce pas lui qui… Si, il vient de s’engager dans la même sente que moi. Peut-être qu’il habite le quartier, après tout. Je ne l’ai jamais vu – je distingue mal ses traits, cela dit, avec ces fichus arbres qui masquent les lampadaires. Un nouveau voisin ? Qui sait… Bah, j’arrive, de toute façon. Il n’aura pas le code, faut juste qu’il n’ait pas le temps d’entrer avec… Mais c’est qu’il accélère, le con ! Bon, bon… Tâchons d’avoir l’air normal.

« Vous… Vous êtes nouveau dans l’immeuble ? Je ne me souviens pas de vous avoir déjà croisé. J’y suis depuis trois ans, moi. En famille. Très normal, tout bien, à part les charges, mais bon, avec un tel parc, on peut comprendre… Vous montez au même étage ? Vous m’avez l’air… Ah ça, c’est drôle, vous aussi alors ? J’aurais dû m’en douter, enfin… Je me comprends. C’est presque un soulagement de me dire que je ne suis pas le seul. Vous n’imaginez pas tout ce qui me trotte dans la tête, depuis des mois ! Et vous, là, que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam, vous aussi… Décidément. Mais avant, vous voulez bien me dire comment vous comptez faire, pour… pour après. Parce que moi, franchement, je n’ai toujours pas trouvé. »


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