Jouer sauve  !

À vivre tranquillement, on oublie que l’existence est une affaire de mise. Nous sommes, tous, fondamentalement, assis autour de cette grande table de poker. Dans ce récit touchant et drôle, l’écrivain Nicolas Krastev-Mckinnon, auteur d’Orelsan, dictionnaire critique La Grenade », 2023) nous explique comment retrouver le goût du jeu lui a permis de rester vertical, de retrouver le goût de vivre. 

Malade et immobile, dévasté par l’ennui, c’est à un moment critique de ma vie que j’ai recommencé à jouer aux échecs. 

Univers de rechange, le jeu m’a très tôt ouvert ses portes.  Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été un homme ludique. Enfant, j’étais souvent ailleurs, perdu dans un autre moi-même. Je jouais comme l’on respire, et je respirais bien. 

Alors qu’une amie me rendait visite à l’hôpital, un jour de décembre, je la vis sortir de son sac un petit plateau que je reconnus vite.

« Allez, on joue, ça va te faire du bien ! », m’avait-elle dit avec une étrange conviction. 

Je fus battu en quelques coups. Mais une chose en moi venait de se réveiller. Après le départ de mon adversaire, j’ai ouvert mon ordinateur, et j’ai joué pendant des heures en tremblant de désir. 

Les échecs sont d’une exigence monstre. J’avais besoin d’une méthode, d’un cap et de discipline. Jour après jour, je me suis donc organisé. Le personnel soignant s’est très vite étonné de mon nouvel élan : c’est que j’avais un monde à conquérir. 

Je pensais être un minimum au fait de ce qu’étaient les échecs : il n’en était rien. Pas à pas, je suis entré au royaume de la tactique, au pays de la stratégie, et j’ai roulé ma bosse. Je découvris l’histoire d’un jeu plus vaste que toutes les Amériques, et plus beau peut-être que toutes les îles. 

Aimer jouer aux échecs, c’est trouver la clé du temps. On est passé de l’autre côté de la vie. Le réel est feuille que l’on plie à sa guise. Je joue toutes mes parties comme si les étoiles y assistaient. Je deviens fou, cavalier, petit pion au grand cœur. Je suis une reine sans égards et un roi diverti. Je ne déplore plus : je calcule. 

Les échecs m’ont appris à perdre sans honte et à triompher avec modestie. Car c’est un jeu pareil à l’existence : on n’y est jamais au bout de ses peines. On devient juste un peu moins maladroit. 


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