Jean Vicente

R.A.S

Attendre le « go » dans une voiture après s’être préparé pour le casse du siècle. Faire « une vraie descente », comme dans les films et éviter d’être surpris. Dans le texte R.A.S, Jean Vicente, nous montre que sans surprise –, l’art du crime génère souvent le « pire ».

Dans la voiture, Q attend le go. Il a beau s’être bien préparé, ça n’empêche pas ses genoux de flancher et son bide de faire un nœud de huit. Il enroule soigneusement sa cagoule pour en faire un bonnet et met sa capuche par-dessus. Il fait froid, une fine pluie bat le pavé. Par ce temps, un gars en jogging avec bonnet sous la capuche, ce sera pas si suspect se dit-il. Il enfile ses gants sur ses mains calleuses de travailleur, les mains moites d’un homme au bord du risque. Il regarde à gauche, à droite, dans les rétroviseurs : personne. Il vérifie que son taser fonctionne, le range soigneusement dans sa poche avant d’en remonter la fermeture Éclair. Q est prêt. Il ferme les yeux, respire fort et attend le go.

Y est déjà sur la place. Écouteurs sans musique dans les oreilles, sous sa capuche. Depuis la place il surveille toutes les directions : personne, à part sur le chantier de la maison qui fait angle. Il est midi trente-quatre. Y doit attendre que les menuisiers finissent leur matinée de travail. Rien à signaler. Pourtant son cœur bat fort, sa main tremblante cherche la clé à molette dans sa poche. La froideur du métal le rassure.

Toujours rien à signaler. Juste attendre que les menuisiers aillent manger. K devrait arriver chez lui entre treize heures quinze et treize heures vingt. Faut agir avant. Jusqu’ici tout va bien. Mais on sait jamais, et si les choses se gâtent, faudra agir encore plus vite. Et pas hésiter. Car quand K arrive, il arrive avec son cousin militaire. Là, faudra pas réfléchir. Taser cuisse, clé à molette cotes, sprint jusqu’à la voiture, rouler vite et loin. Les flics ? C’est pas ce qui les inquiète, ils auront un temps d’avance sur eux. Ils viennent du village voisin, six kilomètres jusqu’a la place.

À travers ses écouteurs, Y entend une discussion. Merde. Les menuisiers ont presque fini et préfèrent ne pas prendre de pause repas, ils seront à la maison plus vite s’ils finissent ce qui leur reste à faire.

Merde.

Y hésite. Puis il pense aux huit mille euros de cash planqués dans le grenier de K. Et au demi kilo de beuh dans les pots de whey qu’il pourrait refourguer à B. Entre neuf et dix mille balles à se partager. Personne pourrait cracher dessus, tant pis pour les menuisiers, ça se tente ! Et puis ils sont dans un angle mort, avec un peu chance ils ne verront rien, se rassure-t-il.

Midi quarante-six, Y appelle Q. 

Go !

Q sait ce qu’il a à faire. Il descend de la caisse, en fait le tour, vérifie par palpation que le taser ne s’est pas évaporé, ouvre le coffre et prend le sac contenant l’échelle télescopique. Il referme et se dirige calmement vers la ruelle qui mène chez K. Le cœur au sprint, il se répète en boucle ce qu’il a à faire. Entrer dans la ruelle, dérouler sa cagoule, déplier l’échelle jusqu’à la fenêtre du grenier, faire sauter le volet au pied de biche. Dessous, la vitre cassée lui permettra d’ouvrir la fenêtre de l’intérieur et de récupérer le butin. À l’autre bout du fil, il vérifie que Y est toujours là. Qu’il puisse le prévenir s’il y a une couille.

R.A.S.

Q se met à l’œuvre.

Y, bouffé par un mélange d’anxiété et d’adrénaline, l’œil affûté, guette le moindre mouvement sur la place. Pour le moment, les menuisiers n’ont rien capté. Et maintenant que Q est dans la ruelle, impossible qu’ils le crament.

—Tout va bien ? demande-t-il à Q.

— Le pied de biche est un peu court, je galère.

 — Le volet bouge pas ?

— Si mais ça va prendre plus de temps que prévu.

— Belec frérot.

— Oui.

Les menuisiers commencent à trouver louche qu’un gars capuché regarde partout depuis vingt minutes sous la pluie. Alors Y, il pète une clope, se disant qu’il serait moins suspect. C’est juste de la parano. Pas de panique. Tout va bien. S’en tenir au plan, rien qu’au plan. Les ouvriers doivent juste le prendre pour un simplet de plus qui traîne sur la place. Mais le temps qu’il allume sa clope, il se laisse distraire et ne voit arriver que trop tard la vielle Subaru de K. Sur le siège passager, le cousin militaire. Celui qui a brisé le plancher orbital d’untel, broyé la pommette d’un autre et fendu plus d’arcades qu’il n’y d’habitants au village. Une terreur locale. 

Panique, Y gueule :

— Q ! Stop ! Casse-toi, ils sont là !

De sa main moite, il serre la clé à molette en attendant de voir Q s’échapper. Dès qu’il sort de l’impasse en courant, Y s’éjecte de son banc, et tape un sprint jusqu’à la voiture. 

À l’intérieur, Q l’attendait en sueur, moteur allumé, porte ouverte. Y se jette dedans. Q a démarré en trombe. Il lui raconte qu’il a niqué le volet mais n’a pas eu le temps d’entrer dans la maison. Comme un con il a tout laissé sur place, ils ont failli se faire cramer. On est morts a-t-il dit. Q accélère, accélère de plus en plus, regarde dans le rétroviseur, vérifie qu’ils ne sont pas suivis par la vieille Subaru. R.A.S. Il accélère encore, encore, et ne parvient pas à négocier le second virage. Il le connaissait par cœur, pourtant, ce virage. 

Leur Clio s’encastre à cent-quarante kilomètres heure dans un platane.

Ils meurent tous les deux sur le coup.

K et son cousin ont hérité d’une échelle télescopique, et feront changer, quelques jours plus tard, fenêtre et volet.


Les inspirations de Jean Vicente :

https://zone-critique.com/cultes/rebecca-lighieri

https://zone-critique.com/cultes/salif


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