Claire Von Corda

NAISSANCE DE LA VIOLENCE

Il est ici question de violence. Pas la violence qui vous plie, celle des corps que l’on contraint, que l’on force, que l’on soumet à quelque ordre politique. Il s’agit de la violence qui déplie les vivants. La violence primordiale d’un feu que le désir-allumette déclenche. Pour ce Dimanche Rose, texte brûlant proposé par Claire Von Corda. 

– « Mange ma chatte » je m’entends soupirer pendant que tes lèvres écrasent les miennes. Les mots sortent, réflexe nerveux, la honte me crispe. Tu ne relèves pas et prolonges notre étreinte.

Sur la place devant la basilique, je ne t’ai pas cherché longtemps. J’avais deviné que tu viendrais à ma rencontre, j’ai emprunté ce chemin exprès. Notre premier baiser. Les cloches ne sonnent pas, le ciel est gris, les clochards sur le banc mangent des sandwichs. Quand tes mains caressent mes fesses, ta langue dévore la mienne, ils se mettent à siffler, applaudir – j’ai attendu ce moment depuis tellement d’années. 

Des messages échangés, virtuels, nous ne nous connaissons mais pas de cette manière, tu es marié et père.

Lorsque je t’aperçois ce matin, à dix heures, le froid vif, sur la place circulaire, des passants rapides, tu ne m’as pas encore remarqué, je n’ose pas te faire signe. Je marche, tête baissée, mais finalement, happée, euphorique, je te fixe en te souriant comme une conne. Le tien remonte jusqu’aux oreilles. Face à face, nous n’avons pas les mots, trop timides, fous de désir ; on se jette l’un sur l’autre, nos bouches, nos langues. Accordées, impatientes. Et ce baiser alors rassemble nos existences. Il invente des souvenirs, relie nos actes manqués et efface nos vies de l’un sans l’autre. Il grave notre rencontre, grande, notre lien, de deux êtres. Et c’est dans cet instant de grâce, que j’entends les mots débiles sortir de mon souffle.

« Mange ma chatte ». 

Bien sûr que je te désire, me branle sur toi depuis des jours, je suis trempée mais je tremble. Gorge serrée, les mains glacées, je transpire sous les bras. 

Je veux que ta langue glisse sur mon sexe comme elle le fait à cet instant sur la mienne, qu’elle apporte sa chaleur sur ma peau brûlante. Mais on ne dit pas choses-là, si ouvertement, embarrassée, glacée d’effroi. Tu ne remarques pas, je me demande même si tu as entendu, compris, tu m’embrasses toujours. Nos dents s’entrechoquent, une maladresse d’adolescents. Et puis nous nous adaptons, trouvons notre rythme. J’ouvre grand les yeux, ta peau en gros plan, les immeubles gris autour, le paysage tourne, le temps se suspend. Sur un plateau de la ville, des chênes au-dessus, la basilique massive, un blockhaus noir et les clochards enthousiastes. Intimidés, nous arrêtons le spectacle. Je sens ton érection à travers ton jean, je te guide à ma voiture par la main.

Dans le silence amoureux, tendre et bouleversant de notre trouvaille, je n’ose pas te regarder mais un sourire me scie le visage. Un sourire douloureux, tendu, les muscles réveillés. Pendant que ta main moite touche la mienne minuscule dans ta paume, pendant que l’air frais du mois de mars, d’octobre ou d’août s’engouffre dans mon blouson, une certitude se fixe. Tu seras le dernier, tu m’arracheras le cœur. Je marche, te tiens. Un pressentiment. Mes mauvaises habitudes vont réapparaitre, les mauvais jours revenir ; tout ce que j’ai appris, notre union va le pulvériser, je suis foutue. Pourtant un sourire immense me défigure.

Dans la voiture, tu rougis, je transpire. Ma voiture est petite, tu recules le siège, sembles mal à l’aise et trop grand pour ma Clio. Je te demande si tu conduis, ma question trop réelle menace de casser la magie du cocon. Tu me souris, tes yeux de suie. Tes yeux de fous ; aussi amoureux qu’en colère, ils porteront toujours cet éclat jusqu’à notre séparation. J’ai envie de pleurer, te manger, je souris, gênée, cherche de la contenance, finalement tu te jettes sur moi. Tu chopes mon menton et le tourne vers ta bouche. Ta langue identique à la mienne, courte, nerveuse, dévouée. Tu me ressembles. Ta peau, tes grains de beauté ; je pense au mythe de l’âme sœur, à l’inceste, la fusion. Mes mauvaises habitudes reviennent, j’essaie de les chasser de ma tête, mes mauvais jours.

J’attrape ta braguette, la bosse dans ma main, est-ce qu’un jour tu quitteras ta femme, est-ce que je deviendrai si importante. Je chope ton érection et m’embarque dans un torrent de cyprine.

Pendant que nos langues tournent, que tes dents mordent et cognent, mes doigts s’agitent à rentrer dans ton caleçon, s’écraser sur ton ventre, se glisser dans tes poils ; ta ceinture de cuir trop rigide à défaire. Tu halètes, fermes les yeux fort. Je te fais un effet dingue, je constate mon pouvoir. Dans l’habitacle clos de cette minuscule voiture, ta bite contre ma paume, je vois le futur, mon amour. Lorsque ta bouche appelle l’air, je comprends le trouble, la lutte à venir. 

Je me donne, me dévoue à toi, tu ne me touches pas encore, trop fébrile sous mes caresses, tes gestes s’arrêtent à mi-chemin. Tu pinces un téton mais cesse dans la seconde. 

Tout à coup, des canettes roulent au sol, des gens passent à côté, sur le trottoir, près de l’église. Deux jeunes matent en pouffant. Je rigole sans comprendre, tu t’énerves et rougis. Trempée, surexcitée, je me jette sur toi, on s’en fout des autres, je souffle dans ton cou, les autres n’existent pas. 

Tu détournes la bouche et demandes à changer d’endroit. Le moindre contact entre mes cuisses me ferait partir au quart de tour, tu ne le sais pas, j’inspire pour le calme et remets le contact. 

Je traverse le parking, ne reconnait plus ma ville, sors sur l’avenue et remonte par le pont. Des places sous des arbres, je ne sais plus me garer, menace de râper l’aile d’une camionnette à l’arrêt. Frein à main et sans parler, reprends là où je t’avais laissé. Ma bouche sur la tienne, salive, ton haleine, tu parles de la mienne, du tabac froid.

Cette fois, tu défais l’ouverture, je t’attrape mieux. Je contemple ta queue. Droite et épaisse, des poils noirs. J’aime pouvoir faire disparaitre le gland rose lorsque mes doigts l’enlacent. Je pourrais la casser en serrant fort ; cette pensée augmente mon désir. Tournée vers toi, les voitures ne sont pas pratiques pour la baise. Nous restons comme ça, moi qui te branle, toi haletant, répétant, je vais jouir. La situation, excitante, commence à m’ennuyer. 

Alors je chope ta main, l’enfouis dans mon jean, écarte les jambes et l’applique sur ma chatte trempée. Tu hallucines. Tes yeux brillent, ta bite durcit. C’est moi qui bouge sur tes doigts. Submergés par le désir qui ravage nos corps. Pendant que tu me branles, j’observe les traits de ton visage se crisper et dessiner le massacre de notre amour à venir. Je jouis en trois secondes. Mais l’orgasme, étrange, ne touche pas son climax. Toujours morte de faim. Je veux encore. Tes doigts, ta bouche, « mange ma chatte ». D’un bond, je recule le fauteuil, attrape ton crane et le plaque entre mes cuisses. Ta langue, surprise, lape et lèche. Tu me bouffes comme je l’imaginais en rêve. Deuxième orgasme quelques secondes plus tard. Mes mains t’arrachent les cheveux, je te nomme mon amour, je ne te connais pas, je te connais depuis toujours. Tu te redresses, bouche trempée, je t’embrasse et retrouve mon gout. La braguette défaite, je vois ton sexe rouge. Il m’appelle, je l’insère dans ma gorge et joue avec lui, je lui roule des pelles. Sa saveur me procure des décharges électriques, des frissons, partout dans le dos, dans les bras, j’ai chaud, oublié la saison. Entre tes cuisses, dans l’odeur de ta peau, de tes poils, ta main enfouie dans mes cheveux, ton souffle saccadé, mécanique et régulier qui répète que tu vas tout gicler. Je te suce, je t’adore, j’ai encore envie de jouir mon amour. 

Alors, pliée en deux sur les fauteuils, ce débile frein à main qui me transperce le torse, je me touche. Honteusement d’abord, puis ouvertement. Tu le captes, chuchotes que je suis salope, tu aimes ça, le plaisir grimpe et ta bite bat. De plus en plus. J’hallucine de constater cette dureté grandir. Chaque fois je crois voir le maximum et pourtant, ça va plus loin. Ma langue tourne autour du gland, je te prends en gorge profonde, m’étouffe sur tes poils. 

Je peux mourir maintenant. 

Tu t’essouffles, je veux t’embrasser, me redresse, m’enfouis dans ton cou, tu transpires, je m’imprègne de ta sueur, elle bombarde la bagnole. Pendant que je te mange les oreilles, les lèvres, des spasmes montent et alors, des jets de sperme couvrent ma main, tombent sur ta cuisse et atterrissent sur mes doigts. Encore. Tu n’en reviens pas, ça te secoue. Tu ne me regardes pas, je contemple la scène, ton sexe dans ma main, l’effet de dingue que je te fais, tu es foutu, « tu m’as tué » tu susurres. Ce sera à venir.

Je t’embrasse, ouvre la portière, secoue d’un claquement ma main et le sperme répandu sur ma peau atterrit sur le goudron. Je n’ai rien pour m’essuyer, je le fais sur ton ventre. Tu as du mal à parler et restes quelques instants, la bite molle, la chemise défaite.

Nous échangeons un long regard. Depuis ce matin, nous n’avons encore rien dit, les mots inutiles. Au fond de tes yeux, je vois notre histoire, le terrible, l’immense, l’amour. Et j’entends mes mauvaises habitudes revenir, mes mauvais jours réapparaitre.


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