JE NE PENSAIS PAS LE DIRE UN JOUR…

On croit toujours qu’on peut tricher avec soi-même, taire ce qui hurle en nous. Et puis un jour, ça craque. Alors, il faut bien le dire. Même si ça brûle. Un texte puissant et magnétique de Chloé Spatzierer. 

Je me moquais de ceux qui le faisaient. « Comme ils sont ridicules ! Avons-nous tellement besoin de le savoir ? Et puis qu’est-ce que ça change ? »

Idiote, tu n’es qu’une idiote. Une idiote condescendante, snob et pathétique.

Chercher à être aimé pour ce que l’on est.

Chercher à être soi-même.

Chercher à être enfin libre.

Et pour les plus malheureux, éviter le suicide.

Ça résonne en toi ou vas-tu continuer à creuser ton déni jusqu’à t’y ensevelir à jamais ?

J’espérais que ça passe comme une aigreur d’estomac : côtoyant le dégoût, la détestation, détournant mon regard, rejetant toute attirance, méprisant avec violence ma propre nature.

La nuit je me frappais, le jour je souriais, maîtrisant à la perfection l’art de la répartie et du sarcasme, avec pour objectif : garder la face, et que personne ne l’apprenne  jamais. M’enterrer avec tous mes secrets, quitte à passer à côté de ma vie.

La vie est faite de choix, j’ai fait le mien. Une vie sans gourmandise, fade et sans saveur.

Parce que j’ai l’air d’une fille. Et que les filles aiment les garçons. En général. Parce que les hommes me regardent. Parce que ça me flatte. Parce que certains me plaisent. Parce que je suis juive. Parce que je suis une enfant capricieuse du 16ᵉ arrondissement. Parce que j’ai grandi avec une mère omniprésente qui voulait le meilleur pour sa fille. Parce que je ne voulais pas la décevoir et détruire ses espérances. Parce que je suis un embryon de la science qui ne devait jamais naître. Parce que je ne voulais effrayer ni choquer les gens que j’aime. Parce que je ne voulais salir personne. Parce que je ne voulais pas vous faire honte. Parce que je ne voulais pas être pointée du doigt. Parce que j’avais peur du rejet. Parce que j’ai grandi entre Janson de Sailly, Sharon, Kenza, Charles-Edouard  et Jeremy.

À mes 18 ans, lorsque je fréquentais Sacha, le bon vivant qui aimait me faire rire par son accent sémite et sa joie de vivre, l’impensable m’est arrivée : une fille venue d’ailleurs m’a tétanisée. Une jolie danseuse blonde, dont la vie s’est arrêtée quand elle s’est perforée le genou. J’étais touchée avec l’envie de me plonger en elle comme on se jette dans un précipice. J’en étais obsédée, jusqu’à m’en donner des nausées durant des nuits entières. Fascinée par sa beauté, par ce qu’elle dégageait : un charme enivrant, un truc qui t’attrape puis te lâche dans le vide. 

Elle me voyait comme une amie, rien d’autre. Et il était hors de question de lui révéler mon attirance. À quoi bon ? Comme je voulais être un homme à cette époque-là… Pour moi il n’en était pas possible autrement. Je trouvais la vie injuste et la mienne particulièrement mal faite. Mais tout s’éclairait, tout s’éclairait enfin, comme une révélation divine. 

C’est donc arrivé à moi ? L’intello à lunettes du premier rang, qui se voyait rangée dans une vie ordinaire et confortable, que certains qualifieraient de banale et affligeante. Qu’importe, la banalité me rassurait, bien qu’elle m’était irréversiblement inaccessible.

Je criais au complot. Je détestais le monde. Je hurlais de rage. Mes pleurs me brûlaient les joues. Et je cognais les murs. Je savais que mon existence serait chamboulée à jamais. Je regardais les gens autour : suis-je donc la seule à me sentir différente ? Que vais-je devenir ? Qui m’aimera pour ce que je suis ? Suis-je condamnée à mourir éveillée ? Serait-il prêt à m’aimer en connaissant la vérité ? Et comment dire à cette femme qu’elle me plaît ? Vais-je mentir pour l’éternité ? Que dois-je faire ? À quoi dois-je ressembler ?

Pourtant je n’ai aucune envie de me couper les cheveux, je risque de ressembler à une néo-nazie ! Et puis j’aime mes cheveux, j’aime mettre des strings, j’aime me faire les mains,  et j’aime minauder comme une femme enfant pour éviter que les flics me mettent un PV ! Et puis c’est vrai que le mec là-bas est quand même beau et très sympa ! Alors qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?

Je comptais donc me guérir, comme on guérit d’une angine, d’une toux, d’une grippe, pire encore comme on se soigne d’un cancer. J’étais prête à prendre n’importe quel traitement. Je m’interdisais tout laisser-aller. Ce n’était pas correct. Ce n’était pas ce dans quoi je m’étais projetée toutes ces années. Je définissais mes propres règles, se rapprochant de celles d’un État totalitaire. 

J’étais devenue mon propre bourreau, exterminant mes propres pensées.

Je pensais que mes proches me découvriraient comme on démasque un imposteur alors j’ai attendu. Longtemps. Très longtemps. Trop longtemps. Je voulais être dénoncée, pointée du doigt, comme ma grand-mère, raflée un soir de février 1944, au 71 rue de Rambuteau, en plein cœur du 1er arrondissement.

Comme une tragédie tranquille j’attendais la sentence irrévocable.

A l’aube je partirai, comme un beauf en claquette chaussette sur une plage de Saint-Tropez. Comme un homme, un bouquet de roses et des épines sur les doigts, attendant sur le quai d’une gare l’amour de sa vie qui ne viendra jamais.

Pourtant les années et les saisons défilèrent, et je n’ai connu que des ouragans, des orages et des tempêtes. Je vous en voulais à vous, à eux, à ils, à elles. J’en voulais à la terre entière car j’en voulais à moi-même.

Parce que je me détestais. Parce qu’aujourd’hui je lutte et que les gens pensent que je n’ai peur de rien. Parce que le terme lesbienne me dégoûte. Il donne l’impression d’une sexualité débridée, voire pornographique. Il donne l’impression de ne pas aimer mais uniquement de s’adonner aux plaisirs de la chair.  Le terme bisexuelle est encore pire. Il donne l’image d’une chienne insatiable, prête à se jeter sur n’importe quel corps, qui ne penserait qu’à la luxure. Une putain gratuite, un objet sexuel dénué de raison, une poupée gonflable prête à jouir sur commande.

Je vois sûrement le mal partout, mais comme ces termes ne me ressemblent pas !

Mais je ne vous en veux pas. Ce sont les clichés ordinaires et l’amour des mots qui m’ont gâché la vie et torturé le cœur, moi qui aime le romanesque, la pudeur et la délicatesse.

J’ai le sentiment de n’appartenir à aucune communauté aimant les humains pour ce qu’ils sont, ou plutôt ce qu’ils ont dans le crâne, indépendamment de leur genre, de leur couleur de peau, de leur religion et de leur taille. Et je n’aime que si j’admire. Ce qui m’importe est d’être libre, libre comme l’air et incorrigible comme l’art.

Je ne sais pas avec qui je finirai, mais ne soyez pas étonnés de me voir tenir la main d’une femme, celle d’un homme sensible ou bien le sabot d’un poney.

On est qui on est. Et malgré la volonté et les tentatives, on ne force pas un cœur à aimer.

PS –  Chers lecteurs, rassurez-vous, on ne l’attrape pas comme on attrape le covid. On tombe amoureux comme on tombe d’une falaise, par le plus grand des hasards, au détour d’une avenue, ou désormais sur Tinder, dans ce fabuleux monde moderne où il faudra bientôt masquer son propre cœur.

Photo : © Newton – Quai d’Orsay


Publié

dans

par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire