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Le désir n’est rien d’autre qu’un tourbillon. C’est-à-dire, l’Univers, comme une descente en toboggan. On peut s’aimer par tous lieux. On s’aime de tous les instants. La vie se résume à une série de parenthèses qui s’ouvrent et se referment pour apaiser, retarder, exciter, la grande réunion des corps. Pour ce Dimanche Rose, avec Antoine Paris, un peu de tendresse, un inventaire des lieux et de ce qui chantait quand nous étions enfin nus. 

À toi, dans tous les sens.

Jour 1

Le premier jour, c’était dans une odeur d’acrylique, âcre et liquide, coulant sur nos peaux, en fluide. 

Un peu de lumière grésillait aux fenêtres. Les rideaux, trop grands, traînaient dans la poussière. De ma tête secouée, j’avais vu des œuvres, achevées ou non, entassées, dont l’une, un globe, moitié continents grumeleux, moitié visage souriant, avait tremblé quand il m’avait prise contre un des établis. 

À la fin je l’avais sucé contre la toile encore fraîche où il avait peint la fin du monde. Quand il s’est vidé dans ma bouche, comme un tube de peinture qu’on a brusquement ouvert et dont tout le contenu se déverse en éclats sur la toile, il s’est raidi contre le tableau. Et toute la fin du monde s’est imprimée sur son dos. Et toute la fin du monde s’est effacée de la toile. Toute la fin du monde s’est effacée du monde. Et il ne resta derrière nos corps qu’une toile blanche, légèrement teintée de traces effacées. 

Deuxième jour

Le deuxième jour, c’était dans la cuisine d’un restaurant. La porte des frigos fermait mal et, selon l’endroit où nous nous prenions, des vagues de froid serraient nos sueurs. 

C’était après le dernier service et tout était taché. Coulures de sauces et de crèmes. Marbrures de caramel collant sur les bords des casseroles. Taches de jus de pêches et de tomates coupées à la hâte, feu d’artificées, fixées au carrelage.

Je l’ai léchée pendant qu’elle était assise, jambes pendantes entre deux gazinières. Coup de langue après coup de langue, ses doigts serraient les grilles, les soulevaient et les laissaient retomber dans un grand bruit de ferraille. Puis elle leva doucement ses mains. Et de mes yeux levés d’entre ses cuisses je la vis qui passait son doigt dans du chocolat figé avant de le sucer en gémissant. Puis dans un reste de sauce orangée. Puis en prenant du bout de son doigt mouillé des bouts de feuilles de menthe ou de coriandre ou de thym. Puis un reste de glace liquéfiée. Puis elle plongea son doigt dans son sexe et le passa sur ma langue.

Et, à genoux, cambré et le sexe bandant, je sentis dans ma bouche toutes les saveurs du monde mêlées.

Troisième jour

La galerie était fermée. Elle n’avait jamais eu de succès. On y trouvait des toiles que tous les musées avaient refusées. Formes trop saillantes. Trop brutales. Contrastes trop crus. Trop d’indécisions entre figuratif et abstrait. Par endroits les murs étaient couverts de toiles même pas encadrées, superposées. Certaines, tombées, gondolaient sur le plancher comme des bouts de tapis. 

Je me souviens d’un enroulement de bleu métallique épais qui semblait emporter avec lui toutes les autres couleurs de la toile. En plein centre. Dans une autre dimension. Trou noir.

Je me souviens, au milieu de spirales emmêlées gribouillées, d’un trait si net si blanc qu’il en était presque éblouissant. Comme un coup de couteau.

Je me souviens d’un paysage. D’herbes folles ou de vagues folles. Je me souviens que je l’avais senti comme un scratch arrachant ma peau. 

Je me souviens d’un regard bleu si implacable que je le sentis qui me pressait contre elle, mon torse contre ses seins.

Je me souviens des empreintes de mille mains dessinées par de la peinture soufflée. Que j’ai mis mes paumes dans deux de ces traces pendant qu’il me prenait par derrière. Et quand j’ai tremblé et hurlé, du fond des âges, mille mains serraient mes doigts. 

Quand j’ai hurlé de plaisir, j’ai cru voir trembler les lignes du tableau qui me regardait. Les lignes des arbres devenir des humains. Les lignes des visages devenir des soleils. Les lignes des soleils devenir autre chose. Autre chose d’inconnu.

Quatrième jour

Les cordes hurlaient. Les percussions frappaient jusque dans, jusque sur, jusque contre nos peaux. La voix de la chanteuse plongeait dans les basses, s’y plaquait, remontait en écartant l’air. 

Nous nous sommes faufilé·e·s dans la foule. Je l’ai guidé vers un petit escalier de service, qui montait en spirales. 

J’enlevai mes chaussures et lui fis signe d’enlever les siennes. La pièce était vaste et vide, mal éclairée. Le plancher craquait sous nos pas nus. La musique y vibrait, tremblait jusque dans nos cuisses. 

Sous ses yeux, je m’allongeai sur le dos. De sous les planches, la musique crépitait dans mon échine, dans ma nuque. Juste pour moi.


Heaven’s falling out of the sky

Sends a message to you and I

Lui me regardait me cambrer, mes reins monter avec la musique, mes mains fébriles me dénuder, presser mes seins, frénétiquement. 

See people crawling out of their trees

Chained to sickness, the dogs are free

Je colle mon oreille aux planches et à la poussière. C’est uniquement pour moi, pour moi que l’on joue et chante. Je gémis à la musique, la supplie qu’elle me prenne. Je me tords et la musique me baise.

I want to be saved

I want to be saved

From the sound, the sound

Ma main ondule entre mes jambes. Lui me regarde. Il est témoin, témoin seulement. Presque démuni. Il essaie de s’approcher. Je lui fais signe de rester là où il est. De me laisser seule. 

Il frôle son sexe à travers le tissu, ne résiste plus, le sort, se branle en me regardant me toucher.

No soul can hear me beneath the weight

No gods or saviors, no hands of fate

Je hurle. Le long de mes cuisses, mon excitation coule dans la poussière. 

Il jouit. Des gouttes tombent lourdement au sol, tout près de moi. 

The world is spitting out

Only love can save me now

Cinquième jour

Le cinquième jour nous faisons l’amour dans un grenier en travaux, en équilibre précaire.

Sixième jour

Le sixième jour

Le sixième jour nous faisons l’amour dans une étable, dans un tas de paille brûlante, fumante, comme si quelque chose de ce tas de paille vibrait de nous, était chaud de nous, nous accueillait dans ses reins, dans sa chaleur. 

Ta cyprine, mon sperme brillent dans la paille.

Septième jour

Le septième jour nous nous reposons de tout ce que nous avons fait. Nous faisons l’amour en rêve et en réel puis en el et en ve. 

Huitième jour

Le huitième jour je te retrouve. 

Le huitième jour je te retrouve. 

Le huitième jour nous recommençons. 

Le huitième jour nous recommençons.

Le huitième jour le monde recommence.


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