Jean-Francois Hardy

Jean-François Hardy : Quand les mots canalisent les maux

Commencer Fragments d’une rupture amoureuse de Jean-François Hardy, c’est accepter de se plonger dans cette période de sentiments troubles et complexes qui accompagnent l’éloignement de l’être aimé. Mais ici, elle prend une forme particulière, celle d’une quête de sens à travers les mots. Entre tourbillon émotionnel et mise à distance rationnelle, l’auteur déploie une réflexion littéraire dense et haletante. À travers un récit fragmenté et un lexique, placés dans le sillage de Roland Barthes, il déconstruit le processus bien connu de la rupture et nous entraîne dans une tempête d’émotions et de souvenirs nostalgiques où chaque mot est une tentative de panser les maux.

De Marguerite Yourcenar à Leonard Cohen, en passant par Hitchcock, l’ouvrage regorge de références culturelles qui permettent au lecteur d’appréhender la rupture autrement. Ces références ne sont pas seulement des clins d’œil, mais des points d’ancrage dans un récit où l’on vacille entre chaos et reconstruction. Véritable guide de survie émotionnelle, Fragments d’une rupture amoureuse canalise la douleur pour en faire une réflexion universelle sur l’amour, la perte, et la nécessité de se réinventer.

Nommer les maux

Il y a au cœur de ce livre une volonté de l’auteur de nommer précisément les maux. Chaque phrase, chaque définition est une tentative pour appréhender l’indicible et redonner un sens à la perte.

Avec la rupture, ce n’est pas seulement l’autre qui disparaît, mais aussi un langage propre à la relation dont la particularité s’évapore progressivement. L’auteur décrit ce vide qui se creuse au fur et à mesure que les mots perdent leur sens : « Mon pauvre autre, faut-il que notre langue soit morte, que nul ne puisse plus la lire ou la parler, pour que tu choisisses ainsi des mots si quelconques ? Je relis les quatre lignes, à la recherche d’une rondeur, d’une épaisseur, d’une preuve de vie. Rien. J’ai comme un froid immense qui me prend. Son message est un silence. »

Ce silence des mots reflète une peur plus profonde : celle de l’effacement. Les repères se diluent, le temps lui-même semble se brouiller: « Anniversaire, une année de plus, de moins. Les dates se sont comme effacées du calendrier. »

Face à cette perte de sens, l’écriture devient un refuge, la possibilité dans ce tumulte de s’accrocher à quelque chose de tangible.  « Il faut écrire, encore et toujours, accumuler les mots, les répandre par milliers. Tant qu’il en est, qu’il y en a. » Les définitions de l’auteur, à chaque début de chapitre, non conventionnelles, permettent au lecteur de prendre le temps d’identifier à sa manière ses propres étapes, de se reconnaître dans ces fragments d’états, et d’entrevoir une possible reconstruction.

Véritable guide de survie émotionnelle, Fragments d’une rupture amoureuse canalise la douleur pour en faire une réflexion universelle sur l’amour, la perte, et la nécessité de se réinventer.

La rupture comme champ de bataille

Jean-François Hardy emprunte abondamment au lexique de la guerre pour décrire la fin d’une relation. La rupture est alors envisagée comme un conflit impitoyable, une lutte où chaque camp subit des pertes. Dans le prolongement de la métaphore, l’auteur évoque la séparation comme un armistice, un moment où l’on dépose les armes, même si les séquelles restent profondes : « L’armistice devait être l’occasion de tirer le bilan des hostilités, d’envisager une reconstruction et, surtout, de prendre un itinéraire différent. Pourtant, devant l’ampleur des pertes, je trouve tout cela absurde. »

Face à la violence émotionnelle de la séparation, la colère occupe une place centrale. Loin d’être négative, cette émotion brute permet de survivre au chaos, d’extérioriser l’incompréhension et la douleur. « Colère qu’il soit avec un autre(s) alors que j’étais là, à ressembler à une ville bombardée. Colère que mon souci lui soit indifférent. Colère d’être en colère, de n’être pas assez fort pour l’ignorer. » C’est peut-être même la force unique qui reste pour avancer comme une révolte salvatrice, un souffle nouveau.

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Mais la guerre ne se limite pas à l’autre ; elle se joue également en soi. L’auteur décrit la fragmentation de son identité, pulvérisée par la fin du couple : « Avant l’armistice, j’étais dé-composé. J’essayais maladroitement d’être fidèle à nous et non à moi. Les combats avaient pulvérisé l’ensemble. Hémorragie existentielle, monceaux de moi partout. » À l’issue de  cette lutte intérieure, la rupture devient aussi une occasion de se reconstruire. 

De l’autre au soi : reconstruire après la chute

Au-delà de la douleur et du chaos, Fragments d’une rupture amoureuse offre une réflexion plus apaisée sur la reconstruction. Après avoir nommé et affronté les maux, il s’agit de retrouver un nouvel équilibre, d’emprunter un nouvel itinéraire. L’autre, qui occupait une place centrale, devient d’abord personnage de second plan avant de n’être plus qu’un souvenir. L’auteur décrit ce basculement avec lucidité : « Quelque part, dans un quartier quelconque, l’autre doit être avec un autre(s), au creux du même lit. »

Ce livre agit comme une boussole pour atténuer la chute, une œuvre où chacun peut reconnaître une facette de son propre parcours amoureux.

Cette prise de conscience, parfois brutale, est nécessaire pour tourner la page. Il faut accepter que l’autre devienne une figure parmi d’autres, voire une figure nouvelle de celle que l’on a aimée : « L’autre était devenu méconnaissable, c’est-à-dire qu’il ne ressemblait plus au lui du nous. »

Loin d’accabler le lecteur, ce récit invite à envisager la rupture comme une étape, une possibilité de renouveau. La douleur n’est jamais niée, elle est comprise et normalisée grâce au travail acharné autour des mots. Elle se transforme ensuite en une puissance créatrice lorsque le narrateur évoque la capacité de trouver des moments d’épanouissement au milieu du chaos : « Le bonheur est parfaitement possible au milieu du chaos. Il n’est rien qui ne puisse pas être mis en musique de manière à en rire, même et surtout cette révolte. »

Fragments d’une rupture amoureuse n’est pas seulement un récit sur la douleur de perdre l’autre ; c’est aussi un manuel de survie émotionnelle. En déconstruisant la relation, en nommant les maux et en explorant la colère, l’auteur ouvre un chemin vers la résilience. Ce livre agit comme une boussole pour atténuer la chute, une œuvre où chacun peut reconnaître une facette de son propre parcours amoureux. 

Car finalement, il y a toujours un nouvel itinéraire à tracer, un nouvel autre à rencontrer et ce, même si l’on est encore imprégné des traces du passé.

  • Fragments d’une rupture amoureuse, Jean-François Hardy, Éditions Plon, février 2025.


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