Famille littérature

La famille est-elle toujours toxique ?

La famille toxique est le thème majeur de cette dernière rentrée littéraire, de La Faille de Blandine Rinkel à Patronyme de Vanessa Springora. Mais la famille est-elle nécessairement un lieu de violence et d’oppression ? 

Les récits qui mettent en scène une famille problématique reposent généralement sur un paradoxe : des personnes liées par le sang, et qui se voient tous les jours, sont en fait éloignées les unes des autres par un mur de silence. Celui-ci peut être édifié – fréquemment par le père – pour cacher des violences ou dissimuler un secret. 

Si la parole existe, elle peut être confisquée par l’un des membres qui impose son récit et étouffe celui des autres.

Dans les deux cas, la parole est impossible et doit être conquise autrement. 

Quand maison rime avec prison

Le foyer familial peut ainsi devenir synonyme de prison. À rebours du dîner cliché où chacun, le soir venu, raconte sa journée, les rassemblements familiaux deviennent sources d’angoisse et d’oppression. 

C’est le cas dans le premier roman remarqué d’Alix Lerasle (publié au Castor Astral), Du verre entre les doigts. L’histoire, racontée par une jeune narratrice, rend compte de la puissance des non-dits autour de la maladie de la mère et de l’absence du père. Personne ne parle dans ce foyer : le grand frère, parti en pension, le petit frère, qui n’est pas un enfant comme les autres, la mère qui est malade, ou encore le chien qui est, pour des raisons évidentes, incapable de le faire. 

https://zone-critique.com/critiques/alix-lerasle-du-verre-entre-les-doigts

https://zone-critique.com/critiques/alix-lerasle-des-mots-qui-prennent-soin-des-enfants-casses

Le silence entretient les violences en les rendant invisibles pour le monde extérieur. Dans Antoine de Christian Blanchard, la honte du viol commis par le père sur la mère, empêche la parole et donc la possibilité de dénoncer ce crime.

De la même manière, dans Gracier la bête de Gabrielle Massat, les traumatismes des victimes ne sont pas écoutés par les adultes dépassés par la situation. Ce roman se déroule pourtant dans le centre censé protéger les enfants en danger, le CDEF (Centre départemental de l’enfance et de la famille). 

Devenus adultes, ces enfants reproduisent trop fréquemment le traumatisme vécu qui n’a pas été surmonté. 

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C’est également ce que montre le film islandais, sorti en fin d’année dernière, Les Belles créatures. Les jeunes héros du film, eux-mêmes auteurs de violences, sont en fait des victimes au sein de leurs familles. Celles-ci sont “décomposées, alcooliques et addictes, maltraitantes, incestueuses”. Les pères sont violents ou absents et les mères souvent complices par leur incapacité à changer la situation.

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Réinventer sa famille

Cependant, le silence n’est pas négatif pour toutes les familles. Les livres de Jean-Marie Laclavetine évoquent la mort par noyade de la sœur de l’auteur à l’âge de 20 ans. Celle-ci a été si traumatisante que plus personne, dans la famille, ne l’a évoquée. Pourtant, cet épisode a servi d’inspiration à l’écrivain qui a utilisé cette figure féminine disparue dans de nombreux livres. Dans un entretien qu’il nous a accordé en 2021, il avait d’ailleurs légitimé le silence familial comme le moyen, pour chacun, de faire son deuil.

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Dans La Faille, Blandine Rinkel relate sa réappropriation du roman familial confisqué par le père et ses mensonges. La lecture, puis l’écriture, ont constitué pour elle des moyens de dialoguer avec d’autres, les auteurs, avant de trouver ses propres mots. 

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Vanesse Springora, dans Patronyme, adopte une démarche encore plus radicale. Elle aussi a été confrontée à un père mythomane. Cela commence par le nom – le patronyme dont il est question dans le titre – qui évoque des origines tchèques, mais qui est une invention totale. De même, son métier varie sans cesse : espion, diplomate… Finalement, face à cette figure paternelle impossible à cerner et à comprendre, la narratrice décide de jeter les archives du père pour sceller leur séparation définitive. 

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